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MAH: «Du passé, faisons table raseuh…»

L'Impoligraphe

«Dis donc Tonton, faudrait que tu t’expliques, là: tu signes un texte qui appelle à voter «non» au projet de rénovation-extension du Musée d’Art et d’Histoire, alors que je croyais que finalement, tu allais voter «oui» tellement la campagne du «non» t’énervait… Tu joues à quoi? à célébrer le centenaire de Dada? Ou alors, tu serais pas un tantinet schizo?
– Oh, pas plus que le militant politique moyen… J’ai d’ailleurs appris grâce à cette annonce publicitaire que j’étais «écrivain». Ça a flatté mon égo, c’est toujours ça de pris. Et puis bon, hein, ce qui est fait est fait, faut assumer. Je m’appelle pas Gianadda, moi. En même temps, ça dit bien l’incertitude dans laquelle nous plonge un projet mal parti (sans concours pour le choisir, avec juste un appel d’offre), mal foutu (on ne s’est posé la question de son contenu, du «programme scientifique et culturel», que lorsque le projet était bouclé) et mal proposé, dans une procédure qui consiste à ficeler une rénovation dont personne ne conteste la nécessité à une extension qui cumule les oppositions… Si le vote blanc comptait dans un scrutin référendaire, j’aurais appelé à voter blanc – comme je l’avais fait quand il s’agissait de choisir entre deux textes médiocres de constitution genevoise. Mais le vote blanc compte pour beurre, alors…
– Parce que tu trouves que ta position, là, est plus claire? Un pas en avant et un autre en arrière, tu crois que tu vas avancer, comme ça?
– Non, mais se fâcher avec (presque) tout le monde, c’est un art noble et un plaisir d’esthète. Et si ça peut me permettre de garder cette belle virginité politique qui fait tout mon charme, pourquoi m’en priver? Parce que je sais pas si tu as vu à quoi ressemblent les fronts dans cette histoire, mais c’est pas gauche contre droite, démocrates contre garde-chiourmes, ou cultureux contre analphabètes… non, c’est un agglomérat contre un autre. Si je disais «oui», je me retrouverais avec le MCG et Gandur, et quand je dis «non», je me retrouve avec l’UDC et Barbier-Muller… exaltant, non?
– Et si tu dis «oui» et «non» en même temps, tu te retrouves avec qui, sophiste de mes deux? ton psychiatre? un jésuite?
– Ben je me retrouve avec moi, c’est déjà ça… ça m’évite en tout cas l’enthousiasme forcé pour un projet médiocre autant que le fétichisme délirant pour un bâtiment au style déjà réactionnaire le jour de son inauguration…
– ta posture, c’est rien que de la fainéantise politique…
– Parce que tu crois que convaincre autant d’ensemblagauchistes de voter «oui» que de socialistes de voter «non», c’est facile?
– Et une position à la fois responsable et cohérente, elle est hors de ta portée?
– Ben ouais, vu que la position responsable est incohérente et que la position cohérente est irresponsable: la position responsable, c’est voter «oui», parce que ça permet de rénover le musée et de l’étendre en faisant payer la moitié de l’opération à des privés. Et la position cohérente, c’est de voter «non» parce que le projet ne mérite pas qu’on le vote. Mais faudrait choisir, une bonne fois: soit on garde ce bâtiment tel qu’il est, en se contentant de le rénover mais sans rien y changer d’important, soit on construit un nouveau musée, à sa place ou ailleurs, mais on arrête de bricoler l’existant et d’y poser des rustines… Or comme la rénovation et l’extension sont ficelées dans le même projet, dire «non» à l’extension, c’est aussi dire «non» à la rénovation.
– et alors?
– et alors? après tout, c’est vrai, pourquoi pas? On n’aurait plus qu’à attendre que le bâtiment Camoletti tombe tout seul, pour ensuite raser les ruines et construire à la place (ou ailleurs) quelque chose de tout nouveau tout beau, ou au moins d’une mocheté intéressante… pas comme celle de cette boursouflure pompière construite au début du XXe siècle dans le goût de la fin du XIXe pour que la bourgeoisie genevoise puisse exhiber qu’elle ne s’intéresse pas qu’au fric, mais aussi à l’art et à l’histoire…
– C’est pas un peu la politique du pire, ça, voter «non», attendre que le bâtiment se casse la gueule pour pouvoir carrément le démolir et en construire un nouveau?
– Ouais, mais faut le prendre comme un hommage à Dada pour son centenaire, en chantant la cinquième strophe du premier couplet de l’Internationale: «du passé, faisons table raseuh…»
 

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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