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Tuer dix-sept mille vaches, autant de balles dans le pied!

En janvier, le comité central de la Fédération des producteurs suisses de lait a appelé les paysans à diminuer leurs volumes, jugeant l’offre actuelle trop élevée de 3%. Réaction de Paul Sautebin.
Lait suisse

Tuer dix-sept mille vaches pour alléger la production laitière, voilà ce que recommande à ses associés la direction de la Fédération des producteurs suisses de lait (FPSL), alors qu’un simple planning de la production de lait éviterait une telle mesure. La surproduction endémique de lait génère une baisse de son prix, assassine des exploitations et tourmente les producteurs. Sous le montage de la politique agricole qui coûte des milliards au contribuable, on attise ainsi les lois du marché pour vaincre la paysannerie, pour la remplacer par des mégafermes nuisibles à tous niveaux.

Pour rester dans l’ordre du libéralisme, il est plus aisé à la nomenklatura de faire tuer dix-sept mille vaches [soit environ 3% du cheptel de laitières suisses] que de s’engager à créer les conditions politiques afin de mettre sur pied une gestion des quantités de lait à produire en aval de l’industrie de transformation.

Pour l’heure, on fait casquer les producteurs: retenue sur la paie du lait pour évacuer les surplus et financer le marketing de vente de lait au bénéfice des vendeurs, réduction du cheptel et pression permanente sur le prix au départ de la ferme. Tuer dix-sept mille vaches aujourd’hui sans mesures contraignantes n’empêchera pas la surproduction de lait et conduira nécessairement à ce qu’elle se répète demain. C’est juste une mesure que l’association des producteurs fait subir à ses propres membres pour les faire rendre gorge.

Par cette boucherie, on banalise, on chosifie les animaux en simple produit industriel jetable. C’est une injonction à nier que les animaux font partie du vivant, nous aident à nous humaniser, qu’ils font partie de notre monde sensible et émotionnel, que nous leur devons gratitude et respect. Qu’un éleveur soit amené à conduire des animaux à l’abattoir n’enlève rien à l’attachement et aux bons soins qu’il doit leur prodiguer, mais dans le cas susmentionné, ils sont un simple exutoire d’une théorie économique.

Quand une association de défense professionnelle en arrive à renier les valeurs qui la fondent pour se référer à celles de ses «adversaires» – concurrence, productivisme, profit, pression sur les prix… –, alors il y a lieu au minimum de remettre en cause ses buts. En faisant fi des fondements de son association des producteurs de lait, la direction de celle-ci introduit la violence de la concurrence dans ses propres rangs et n’a moralement plus l’autorisation de parler de décision démocratique, comme elle le fait dans ce cas. Une démocratie sans fondement social n’est plus qu’une coquille vide!

Comment le monde agricole peut-il encore être crédible, revendiquer la sécurité alimentaire alors que, par notre inertie, nous participons à un tel gaspillage? Comment s’étonner dès lors que le parlement nous retire le soutien financier à la garde du bétail si, de notre côté, nous cautionnons la surproduction? Ne sommes-nous pas en train de vilipender le crédit que la population octroie à la paysannerie, de casser des alliances politiques et économiques potentielles? De contribuer à saccager l’agriculture paysanne mondiale avec nos exportations de beurre et de poudre de lait en surplus et subventionnées aux frais des contribuables?

Le système de gestion national de segmentation du lait de même qualité en séries A, B et C entretient l’état de surproduction au grand bénéfice de l’industrie, en lui mettant à disposition du lait des segments B et C de 20 à 60% moins cher, avec la «force obligatoire» qui contraint les paysans à le produire! Ce système est simplement de l’arnaque légitimée!

Pour anticiper la surproduction de lait, les producteurs doivent pouvoir gérer en amont la production de leur cheptel en fonction de droit de livraison. Ils doivent pouvoir bénéficier du droit de «la force obligatoire» afin que chacun soit tenu de produire une quantité contractuelle requise. Sans une telle mesure, les prix vont toujours chuter, les exploitations disparaître et les vœux d’une agriculture durable s’envoler.

C’est dans cette optique que des producteurs jurassiens réunis en une première assemblée tentent de regrouper des forces sur le plan national pour nourrir une telle revendication et instituer ensemble ce que nous avons de commun.

> Paul Sautebin est paysan à La Ferrière (BE) et membre de la plateforme pour la gestion des quantités.

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