Chroniques

Comprendre le jeu pervers des assurances-maladie

La plupart d’entre nous voient encore les assurances-maladie comme des «mutuelles», gérées pour socialiser les risques de maladies en collectant des «primes» mensuelles, qui nous permettent ainsi d’éviter de nous endetter en cas d’accident dans notre santé. Et pourtant cette époque, qui a duré plus de cinquante ans jusqu’au début des années 1980, est maintenant depuis longtemps révolue.
À votre santé!

La concentration des nombreuses petites caisses-maladie – souvent liées à une branche professionnelle – en un petit nombre de grands groupes d’assurances à visée commerciale s’est encore accélérée ces dix dernières années. Maintenant, les dix plus grands groupes assurent 80% de la population et, au travers de leurs deux faîtières (santésuisse et Curafutura), les quelque soixante caisses exercent un quasi-monopole privé.

On se souvient comment les assurances-maladie ont combattu en 2014 l’introduction d’une caisse publique, en l’accusant à tort de permettre une limitation du choix du médecin, et acceptant du bout des lèvres l’idée d’une meilleure surveillance de la part du Conseil fédéral. D’ailleurs, les Chambres fédérales, comme par hasard, avaient accepté juste avant la votation de ce principe. Les mêmes assurances «montraient» alors comme elles garantissaient la maîtrise des coûts en proposant la plus petite hausse des primes des dernières années et trouvant une solution pour les primes encaissées indûment (en réussissant à n’en payer que la moitié, soit dit au passage). Et c’est ainsi que l’idée d’une caisse publique fut refusée en votation.

Qu’en est-il quinze mois plus tard? Cette année, la hausse des primes était de nouveau nettement plus élevée. Doit-on rappeler que cette hausse est décidée par le Conseil fédéral sur proposition des assurances-maladie, sans aucun contrôle démocratique et dans un manque de transparence total (pour le citoyen-consommateur, c’est comme si on augmentait chaque année la TVA, sans discussion possible!)? Par ailleurs, l’ordonnance d’application de la loi sur la surveillance des caisses-maladie, entrée en vigueur en janvier 2016, a été édulcorée par le Conseil fédéral, à la grande satisfaction de santésuisse, selon son propre communiqué de presse.

De plus, la proposition de séparer clairement les assurances relevant de la Lamal et celles commerciales et privées – dites complémentaires – a été refusée par les Chambres en début d’année, et le nouveau parlement vient d’abolir le moratoire sur l’installation de nouveaux médecins – doit-on rappeler que le président de la commission de la santé du Conseil national n’est autre que le Dr Ignazio Cassis, président de Curafutura, et son homologue au Conseil des Etats est Konrad Graber, membre du conseil d’administration de la CSS, et qu’une majorité des membres de ces commissions ont un lien direct avec une assurance?

Cette décision est d’autant plus grave que l’on a pu observer pendant la courte période où le moratoire a déjà été levé (soit entre 1er janvier 2012 et le 30 juin 2013) que le nombre de cabinets de spécialistes en ville a fortement augmenté, sans lien avec la demande, alors que la pénurie des généralistes en zone périphérique est restée la même. Il s’en est suivi une augmentation des primes, clairement liée à ces nouvelles installations de médecins. Mais c’est justement cela que les assurances attendent, elles qui saluent évidemment cette dernière décision du parlement, en affirmant que «c’est la qualité et l’efficience qui devraient servir de déterminants pour décider qui a le droit de facturer à charge de l’assurance de base».

Et qui devrait décider? Bien sûr les assurances, qui choisiraient alors quels sont les médecins qui remplissent ces conditions (d’où la fin du choix du médecin par son patient… à moins qu’il contracte une assurance complémentaire que son assurance ne manquera pas de lui proposer). Ceci n’est pas de la fiction puisqu’une motion parlementaire d’un conseiller national, lié au Groupe Mutuel, demande la liberté de contracter des médecins par les assureurs, motion qui sera discutée au Conseil national dans quelques semaines.

C’est une vraie OPA que les assurances sont en train de faire avec l’appui des partis de droite du parlement totalement assujettis, qui aura des conséquences désastreuses pour la santé publique et pour l’équité de l’accessibilité aux soins dans notre pays. Ce seront les groupes d’assurances privées et commerciales qui régiront les flux financiers, en créant chaque jour un peu plus une médecine à deux vitesses, où le catalogue de prestations remboursées par la Lamal et le choix du patient seront limités, mais où cela sera compensé, pour ceux qui pourront se le payer, par les assurances complémentaires.

Est-ce vraiment cela que la population veut? ou se laisse-t-elle berner par les assureurs pervers et malhonnêtes?

Soulignons la pugnacité de Pierre-Yves Maillard, président du Conseil d’Etat vaudois, qui cherche encore à faire barrage à la fin du moratoire, au nom d’un minimum de planification sanitaire et pas au nom d’une étatisation de la santé… (encore qu’en termes d’équité cette dernière pourrait se défendre!). Mais où sont les ministres de la Santé des cantons de Neuchâtel, de Fribourg et du Valais, pourtant aussi socialistes?… Ils préfèrent apparemment, pour équilibrer leur budget, négocier des accords avec les groupes des cliniques privées ou concentrer les soins aigus, sans prendre en considération les équilibres régionaux, au mépris du principe de service public et des conventions collectives permettant de payer dignement les soignants!

* Pédiatre FMH, président de Médecins du Monde Suisse.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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