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Des kamikazes et de la liberté de pensée

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J’ai peu de quasi-certitudes concernant la vie. Mais il en est une dont le degré de confiance l’emporte sur celui des autres: ma pensée consciente s’élabore dans mon cerveau et disparaîtra à sa destruction. Hormis des traces fossiles dont cette fin ne me permettra pas d’être conscient. Ma vie est un capital de temps potentiel restant, soumis aux contingences de l’histoire générale, locale et personnelle. Elle sera découpée en rondelles par les alternances veille-sommeil, le sommeil étant une mort provisoire imparfaite et la mort un sommeil définitif sans rêves. A peu de choses près, on meurt tous les jours, en attendant de ne pas se réveiller on ne sait quand. Je ne comprends donc pas comment on peut avoir peur d’une perte de conscience, banale parmi tant d’autres, qui sera définitive. Sans que l’on puisse le savoir, en général!

Les kamikazes et autres suicidaires ont raison de ne pas avoir peur de la mort, s’ils ne tiennent pas au temps qu’ils auraient pu vivre. Ce dernier est le seul capital certain, bien qu’inconnu, dont chacun dispose. Des imbéciles pensent pouvoir prévenir le geste des personnes à risque en leur restituant la peur de la mort (ou, en France, de la déchéance de nationalité!). Mais les seules peurs qui pourraient les retenir seraient celle d’une souffrance extrême durable ou celle d’être privés de la récompense qu’ils attendent de leur acte. Car un suicide ne peut être motivé que par une récompense – immédiate ou attendue, fût-elle illusoire! – ou bien par l’évitement d’une douleur insupportable, possible ou imaginée. Les djihadistes européens fuient une vie considérée comme médiocre et recherchent un paradis promis, dans l’Etat islamique ou post mortem. Conditionnés religieusement et militairement, exaltés ou drogués, la perspective de leurs actes leur confère une estime de soi nouvelle et la perspective d’une gloire reconnue qui leur semblait désirable mais inaccessible avant. Et qui masque le désastre de leur décision. Mais à y réfléchir, c’est la base de tous les conditionnements militaires, en particulier dans les «troupes d’élites». Patriotisme, argent ou peur (du gendarme, du peloton d’exécution) remplacent alors la religion.

Face aux conditionnements militaires ou religieux qui interdisent d’évaluer et de discuter les ordres, le pacifisme et la liberté de pensée sont très désarmés, au propre et au figuré. Le crayon, célébré par un culte étrange aujourd’hui, et les bombardements de dessins qu’il permet sont des «armes» directes, plus efficaces que le texte dans la provocation. Mais elles sont impuissantes face aux terrorismes matériels et culturels. Charb le savait, qui refusait tout engagement personnel dans un avenir familial. C’était, en quelque sorte, un kamikaze de la liberté d’expression. Tandis que, vivant comme tout un chacun et non comme des «missionnaires laïques», Tignous ou Wolinski confiaient craindre que le refus de l’autocensure fasse prendre bien trop de risques à Charlie Hebdo.

On célèbre souvent des martyrs et victimes de la libre pensée qui, de Vanini, Giordano Bruno ou Diderot aux journalistes assassinés de nos jours, ont subi les supplices de l’Inquisition, l’exécution ou la prison. Malgré leurs mérites, c’est une étrange coutume de célébrer leur défaite plus que la victoire de ceux qui, partageant les mêmes buts, n’en ont pas été victimes…

Les récents événements confirment que le fanatisme religieux ne restreint pas sa cible à ceux qui le dénoncent. Il s’attaque à quiconque refuse sa dictature, qu’il s’agisse des commandos anti-avortement aux Etats-Unis, de milices chrétiennes au Liban, de milices juives en Palestine ou des agresseurs de fêtards à Paris. Dans un cas comme dans l’autre, les dommages collatéraux ne comptent pas. Et si la peur et la panique l’emportent, les kamikazes auront gagné. Leurs successeurs pourront s’attaquer aux vignerons, aux charcutiers, aux musiciens, danseurs ou bouchers, puis à tous ceux qui ne partagent pas leur folie…

* Chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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