Chroniques

Quelle pédagogie aujourd’hui?

L’ACTUALITÉ AU PRISME DE LA PHILOSOPHIE

Une étude de l’OCDE de septembre 2015 met en lumière que, pour l’essentiel, les enseignants adhèrent à une conception constructiviste des apprentissages. Pourtant, ils ne mettent pas en œuvre les pédagogies constructivistes et socioconstructivistes.

Distinguer la finalité et les méthodes. Concernant les débats sur les meilleures méthodes d’enseignement, il est tout d’abord nécessaire de distinguer entre les finalités que l’on se donne et les méthodes pour y parvenir.

Il faut tout d’abord se mettre au clair sur les finalités. Il est possible d’opposer deux types d’apprenants. L’enseignement peut se donner pour objectif de produire un apprenant qui maîtrise des savoirs fondamentaux comme lire, écrire, compter. Il peut en outre se donner comme finalité de lui transmettre de nombreuses connaissances, mais ne pas considérer que l’esprit critique et la créativité soient des qualités que l’on puisse enseigner. Cela correspond à la vision que l’éducation nouvelle donne des pédagogies traditionnelles. Au contraire, l’éducation nouvelle regroupe un ensemble de pédagogies qui visent à construire un apprenant actif, autonome, critique et créatif. On peut admettre que cette seconde figure de l’apprenant soit largement valorisée aujourd’hui.

Construction des connaissances et mise en activité des élèves. De manière générale, nombre d’enseignants tendent à associer cette finalité à certains types de méthodes pédagogiques. Ces méthodes ont eu tendance à chercher une légitimation du côté de la psychologie constructiviste et socioconstructiviste des apprentissages. La psychologie constructiviste a mis en lumière comment l’apprentissage supposait dans l’esprit de l’élève un processus de construction des connaissances. Le socioconstructivisme insiste sur l’importance des interactions humaines dans les apprentissages.

De fait, ces théories psychologiques semblent appuyer des méthodes pédagogiques particulières: les pédagogies de la découverte dans lesquelles l’élève est mis en situation de découvrir par lui-même les principes qu’il doit apprendre, les méthodes inductives qui impliquent de partir d’un cas particulier pour dégager des principes généraux, le travail en petit groupe qui favorise les interactions…

Les limites de ces méthodes. Si les enseignants sont convaincus que ces méthodes sont plus efficaces pour que les élèves apprennent, pour autant ils les appliquent peu. Cela s’explique en particulier par le caractère très chronophage des méthodes constructivistes qui demandent plus de temps qu’un exposé de cours.

Mais les critiques que l’on peut adresser à ces méthodes recouvrent d’autres éléments. Des travaux ont pu reprocher à ces méthodes, qui demandent aux élèves d’être autonomes et qui sont donc plus informelles, de favoriser les enfants des classes moyennes supérieures que le style éducatif familial prépare mieux à ces démarches. D’autres travaux ont pu ajouter à cela que ces méthodes étaient vectrices de malentendus cognitifs. Les élèves sont en activité. Ils manipulent pour découvrir les principes. Mais ils peuvent se laisser prendre à l’habillage de la tâche sans en comprendre les finalités cognitives. Par exemple, l’élève découpe des papiers qu’il manipule pour remettre dans l’ordre des mots qui composent une phrase. Mais en définitif, il peut se concentrer avant tout sur l’activité de découpage/collage, sans comprendre que ce qui était le plus important était la compréhension de la syntaxe.

L’activité mentale.  En définitif, il n’est pas certain que le plus important pour construire des apprenants actifs soit de les mettre en activité de recherche. Le plus important, c’est qu’ils soient mentalement actifs. Le problème, ce n’est pas le cours magistral dialogué pratiqué par nombre d’enseignants. En effet, l’apprenant actif est celui qui, même dans le cadre d’un cours magistral dialogué, est capable d’interrompre l’enseignant pour vérifier des déductions qu’il a faites en écoutant l’enseignant, lui poser des questions d’approfondissement, lui formuler des objections… La question est plutôt de savoir pourquoi la plupart des élèves ne se comportent pas de cette manière.

On peut proposer deux axes de réponse. Nombre d’enseignants en France ont une attitude qui dissuade les élèves de s’exprimer lorsqu’ils le souhaitent: trop de questions éloignent du programme et ralentissent le cours. Mais en outre, on n’enseigne pas de manière explicite aux élèves à être actifs mentalement. Nombre d’élèves n’ont même pas conscience que cette activité mentale critique est ce que l’on peut attendre d’eux. Par conséquent, à défaut de mettre en œuvre des démarches socioconstructivistes chronophages, on pourrait attendre des enseignants qu’ils fassent un enseignement métacognitif explicite des stratégies d’apprentissage efficaces qui caractérisent l’expertise intellectuelle. Mais encore faudrait-il que les enseignants les connaissent et n’induisent pas, entre autre par de simples exercices de restitution, une passivité intellectuelle chez les élèves.

* Enseignante en philosophie et chercheuse en sociologie, présidente de l’IRESMO, Paris, http://iresmo.jimdo.com/

Opinions Chroniques Irène Pereira

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