Chroniques

Versailles

Mauvais genre

Lundi 16 novembre, après les attentats du 13, François Hollande a réuni députés et sénateurs à Versailles. C’est là en effet, depuis 2008, que le chef de l’Etat peut s’adresser au «Congrès», notamment s’il se propose de modifier la Constitution. En l’occurrence, le débat portait en particulier sur une révision des articles 16 et 36, qui règlent la remise des pleins pouvoirs au président et la déclaration d’état de siège. Car la France est en guerre. Certains élus en ont profité pour citer Clémenceau, tel le sénateur vendéen Bruno Retailleau, qui crut parfaitement adapté aux circonstances de scander avec d’énergiques mouvements de menton: «Sur le plan intérieur je fais la guerre; sur le plan extérieur je fais la guerre. Oui, je fais toujours la guerre» (la citation est plus qu’approximative, mais en temps de guerre, qu’importe?).

Or c’est ce même Versailles que le Tigre avait choisi pour la signature du fameux Traité de 1919, qui mettait fin à une guerre en en préparant d’autres. Et s’il avait jeté son dévolu sur ce château, c’est que le Deuxième Reich avait été proclamé dans la Galerie des Glaces le 18 janvier 1871. Mais Guillaume 1er n’avait tenu à s’y faire couronner qu’en réponse aux dévastations dont Louis XIV s’était rendu coupable en Allemagne deux siècles plus tôt, et à l’annexion de certaines parties du Saint-Empire, dont l’Alsace. Les trompettes du Roi Soleil n’ont pas fini de sonner à nos oreilles.

Masi Versailles a fait des petits; dans d’autres royaumes autrefois; dans la République il y a peu. C’est ainsi qu’au début des années 1980, l’architecte Ricardo Bofill s’est lancé dans la construction de plusieurs «Versailles du peuple» en région parisienne. Par goût de la grandeur; par amour pour la symétrie classique; mais aussi, affirmait-il, pour donner aux futurs habitants ce sentiment de fierté que le nom seul du palais peut conférer (surtout s’il est couplé à celui, non moins glorieux, de l’architecte catalan). Ils ne seraient d’ailleurs pas isolés, ces résidents des «Arcades du lac», des «Templettes» ou des «Colonnes de Saint-Christophe»: des curieux viendraient tout exprès les voir dans leurs banlieues. Et c’est ce que j’ai fait moi-même. En décembre 2010, je me suis rendu dans le dernier de ces édifices, à Cergy. Nul jardin à la française, ici; mais dans la voix des résidents, quelques accents qui n’eussent pas déparé le cinquième acte d’une tragédie de Racine. Je m’étais arrêté à la loge du gardien, j’avais posé quelques questions; et tous ceux qui vinrent à passer n’hésitèrent point à gonfler de leurs larmes les flots d’un Scamandre qui s’inscrit dans les contours de l’Oise.

Car ce «Versailles du peuple», dans ses intérieurs du moins, aurait plutôt les apparences de Troie peu avant sa chute. Tout s’effrite, se lézarde, ayant été construit trop vite, trop mal, avec des matériaux trop bon marché. On ne répare guère, et rien ne peut se faire sans l’autorisation du «Taller» de l’architecte, qui interdit, notamment, qu’on change des vitres dont l’extrême finesse laisse passer tous les courants d’air (ce qui est assez versaillais, il faut le reconnaître), tout en se montrant fort accueillante aux visites des cambrioleurs. Au fronton des immeubles, on pourrait inscrire une double devise: à côté d’un «L’Etat c’est moi» devenu bofillien, de multiples «Il est interdit de…» Interdit de jouer dans les cours, bien sûr, les fenêtres cherchant à se soustraire au tir d’un ballon. Interdit de parler à voix un peu haute, tant les bruits résonnent dans ces carrés de béton. Interdit de marcher sur le gazon, qui repose sur une dalle au-dessus d’un parking et ne résiste ne résiste ni aux pas ni aux températures extrêmes (entre 35° en été et moins  20° en hiver).

A la différence de Bofill, Louis XIV résidait dans le palais qu’il avait fait construire. Mais du Souverain absolu, que reste-t-il dans le Versailles cergyssois? Peut-être ce que La Fontaine avait appelé «l’œil du Maître». Car ce complexe de 380 logements ne se contente pas de reproduire, grosso modo, les quadrilatères du château: il est augmenté d’un demi-cercle inspiré de la colonnade du Bernin à Saint-Pierre de Rome. Et au centre de cet hémisphère, le sculpteur Dani Karavan a planté une sorte de mirador du haut duquel (si l’on pouvait y monter) l’on aurait une vision panoramique de l’ensemble. On retrouve ainsi une autre référence chère à Bofill: le Panopticon de Bentham, cette prison circulaire où rien ne saurait échapper à l’œil du gardien. Dans le Versailles du peuple, en effet, tout devrait être sous surveillance. L’architecte s’est arrogé les pleins pouvoirs. Pourtant, malgré tous ses efforts, il a perdu la maîtrise des lieux. Au «Palacio» d’Abraxas, en Seine-Saint-Denis, les dealers imposent leurs lois; Bofill n’a pas manqué de rappeler qu’il avait fixé un quota de 20% d’immigrés au maximum, qui a été dépassé. On ne peut pas toujours contrôler le peuple. Mais il reste la possibilité de proclamer l’état de siège; ou de lui déclarer la guerre. Comme le veut Versailles.

* Ecrivain.

Opinions Chroniques Guy Poitry

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lundi 8 janvier 2018

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