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Libre concurrence

(Re)penser l'économie

Un des piliers de l’argumentaire des tenants de l’économie de marché capitaliste, c’est la concurrence. Celle-ci favoriserait l’émulation entre producteurs, améliorerait la production, susciterait l’innovation et, même, conduirait à des baisses de prix. Il est intéressant de vérifier dans la réalité comment s’exerce cette concurrence «libre et non faussée» comme l’expriment les traités européens. L’expression «libre et non faussée» laisse d’ailleurs entendre qu’il existe une concurrence faussée. La concurrence devrait être obligatoirement non faussée, sinon ce n’est plus de la concurrence mais un marché truqué. Or de nombreux exemples concrets récents nous montrent que la libre concurrence est davantage un paravent idéologique qu’une réalité économique.

Prenons le cas du secteur bancaire. Manipulation des taux Libor par les grands établissements bancaires, manipulation des cours des devises, manipulation des taux d’intérêts, manipulation des cours de certaines matières premières et de métaux précieux, malversations dans la gestion des plateformes de courtage de certaines banques, commercialisation abusive d’assurances crédit, ventes abusives de protections sur les cartes de paiement… la liste est longue et laisse de côté les questions touchant à l’évasion fiscale puisque cela n’est pas contraire à la concurrence, chaque établissement bancaire la pratiquant!

Peut-être, direz-vous, cela est spécifique à l’industrie bancaire. L’exemple récent de VW qui a trafiqué ses moteurs diesels pour échapper aux contrôles antipollution ou encore celui du fournisseur japonais d’airbags Takata qui a maquillé des données pour cacher des défauts de sa production sont là pour nous rappeler qu’aucun secteur économique n’est à l’abri. Et faut-il rappeler les scandales qui touchent régulièrement l’industrie pharmaceutique avec des médecins à la botte de cette industrie? Pensons à l’exemple du Mediator en France. Ou encore à celui de l’entreprise Turing Pharmaceuticals aux Etats-Unis qui, après avoir racheté un médicament contre la toxoplasmose, a fait passer le prix de ce dernier de 13,50 dollars à 750 dollars le cachet grâce à sa position monopolistique sur ce médicament! Que dire de Novartis, qui vient de payer une amende pour avoir versé des pots-de-vin à des chaînes de pharmacie aux Etats-Unis afin qu’elles recommandent ses médicaments? Faisons un petit tour également du côté du bâtiment et des travaux publics avec les ententes sur les prix lors de soumissions. Nous pourrions continuer pendant des pages l’énumération des entorses, des trucages et des manipulations qui n’ont rien à voir avec la libre concurrence et qui résultent de la lutte acharnée entre producteurs pour garder, conquérir de nouvelles parts de marché ou s’assurer un monopole.

La libre concurrence conduit en fait à la concentration des entreprises par des rachats ou des fusions afin d’éliminer des rivaux. Cela aboutit à la constitution de monopoles qui règnent en maître sur un marché où l’arrivée d’une nouvelle firme s’avère très difficile, voire impossible, et où la concurrence n’existe tout simplement plus.

La concurrence «libre et non faussée» tend à faire croire que les acteurs économiques sont égaux dans la compétition et que seuls leur génie propre, leur inventivité, leur permettent de s’affirmer face aux rivaux. La réalité est plus triviale: c’est la guerre de tous contre tous où souvent tous les coups sont permis.
Même si cela peut paraître illusoire aujourd’hui, il est nécessaire d’imaginer de nouvelles règles en matière économique. Pour cela il faut changer le principe sur lequel est assise la production de biens et services dans notre monde contemporain: celle du profit. Sans profit pas de production. Celle-ci devra s’appuyer sur les besoins essentiels et prioritaires de la population et, à partir de là, planifier la production sur des bases démocratiques avec pour seul objectif: répondre aux besoins de la manière la plus rationnelle, avec une économie de ressources afin de protéger l’environnement. Les biens et services seront alors fournis au prix de revient incluant les investissements et les dépenses de recherche.

* Membre de Solidarités, ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

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lundi 8 janvier 2018

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