Chroniques

Matin brun

Chroniques de résistance

Un mauvais vent souffle sur l’Europe. Vingt-six ans après la chute du mur de Berlin, une partie des Etats couvrent leurs frontières d’autres murs et de barbelés, tous adoptent des législations anti-immigrés et antiréfugiés et l’Union européenne renforce les capacités policières de Frontex dans cette odieuse guerre contre les «migrants»!

Dans le même temps, les partis d’extrême droite se développent jusqu’au cœur des sociétés et engrangent à chaque consultation des scores électoraux en hausse. Cyniquement, les partis de la droite traditionnelle font assaut de suivisme pour tenter de garnir à leur tour leur besace électorale. Mais, et c’est affligeant, la social-démocratie non seulement ne combat pas ces dérives, mais ne reste pas indifférente aux sirènes réactionnaires, voire leur emboîte le pas comme on vient de le voir en France où les seules réponses données par la gauche au pouvoir («la voleuse de rêves», comme la nomme le dessinateur Plantu1 value="2">Voleuse de rêves, Plantu, Editions du Seuil, novembre 2014.) aux attentats de Daech sont d’ordre sécuritaire et militariste!

Soyons clair: ce à quoi nous assistons, c’est bel et bien une résurgence du fascisme sur un mode contemporain avec les mêmes ingrédients nauséabonds des années 1930: surfer sur les inquiétudes diffuses d’un grand nombre de gens devant l’incertitude des temps, désigner des boucs émissaires – hier le juif, aujourd’hui l’Arabe, le musulman, le Rom – nourrir les peurs, déchaîner la xénophobie, flatter une prétendue «pureté» des peuples «de souche» contre les nouveaux «aliens».

Le retour des «chemises brunes» ne peut être évidemment séparé du contexte social que nous vivons depuis plusieurs années. On constate ainsi, mois après mois, une augmentation du chômage, l’extension de la précarité, voire de la pauvreté (la multiplication des «restos du cœur» et de leurs homologues en est un signe alarmant!), et l’accroissement des inégalités sociales. La désespérance se répand accompagnée de pertes de repères, de repli sur soi et de crispations identitaires aussi simplistes que mystifiées.

En parallèle, l’air du temps ne parle que compétitivité, flexibilité, performance, rentabilité et innovation. L’indifférence sociale à l’égard des laissés-pour-compte se mélange avec un consumérisme hédoniste dans une société du spectacle avec la «pipolisation» de la vie politique, l’envahissement de l’espace public par la pub et la contamination des imaginaires par la marchandise.

Face à ces phénomènes, la gauche institutionnelle est en déroute, ayant perdu toute vision, tout souffle, tout horizon de contestation, passant de renoncements aux reniements, faisant ainsi le lit des droites autoritaires et larguant celles et ceux qui se revendiquaient de ses valeurs, de son histoire et de ses projets.

Pourtant, dans ce clair-obscur qui caractérise cette période d’entre-deux, quand le vieux est mort et le neuf pas encore né (Antonio Gramsci), on voit aussi de plus en plus de collectifs se former agissant sur de multiples champs sociaux, le développement de résistances multiformes et l’accroissement d’expérimentations alternatives.

Le néofascisme croît sur la peur et la haine des autres, de l’autre, et ces comportements trouvent leurs racines dans l’amertume, le sentiment d’abandon et la haine de soi. Face à ces dérives, mais aussi ces souffrances non dites, les militants d’aujourd’hui sont appelés à entendre les émotions, même biaisées et instrumentalisées, pour en faire un matériau d’action culturelle. Il nous faut le courage en toutes circonstances de «dire non» comme l’affirme Edwy Plenel, directeur de Médiapart2 value="3">Dire non, Edwy Plenel, Editions Don Quichotte, mars 2014., tout en retrouvant la fierté de «la mystique socialiste», comme la désigne le philosophe Marc Crépon3 value="4">La gauche, c’est quand?, Marc Crépon, Equateurs, octobre 2015..

Devant le fascisme, nous sommes appelés à vivre nos solidarités et ouvrir les mains à l’autre, nous mettre debout, seul et en groupe, agir, manifester, construire des liens, chanter, aimer!

Dans ce temps de l’Avent qui commence, ayons de la tendresse pour nous-mêmes et pour les autres, elle est un antidote précieux et efficace contre la haine car, comme le dit Aimé Césaire, «il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube».

Notes[+]

* Animateur en éducation populaire.

Matin brun est le titre du petit livre-parabole de Franck Pavloff, Cheyne éditeur, 1998.

Opinions Chroniques Bruno Clément

Chronique liée

Chroniques de résistance

lundi 8 janvier 2018

Connexion