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La SPG répond à Anne Emery-Torracinta

AGORA • Laurent Vité, président du syndicat des instituteurs, répond à la cheffe du Département de l’instruction publique qui contestait le bien-fondé des mesures de lutte choisies.

La SPG, réunie en Assemblée générale extraordinaire (AGE) le 18 novembre 2015, a voté sur une résolution demandant de « s'opposer fermement à toute mesure permettant de mettre en place le projet d'école inclusive ». La formulation de ce point mérite un certain nombre d'éclaircissements que nous vous livrons dans ce courrier sous forme de lettre ouverte.

Tout d'abord, rappelons que la SPG n'est pas opposée au projet d'école inclusive en tant que tel. Au contraire, elle le soutient et le défend, car les enseignants partagent le fait que les élèves doivent être scolarisés dans l'école de leur quartier, tout comme elle défend toutes les mesures visant à aider les élèves en difficulté, au-delà des aspects légaux qui ne nous laissent de toute façon pas le choix!

Cependant, l'école inclusive est un projet pharaonique, nécessitant une nouvelle vision de la scolarité et de la prise en charge des élèves en difficulté. De tels changements nécessitent donc des moyens financiers et humains conséquents. Sans cela, le projet ne peut fonctionner. En effet, il faut que les enseignants titulaires soient soutenus au quotidien dans leur travail d'intégration d'un élève en situation de handicap, mais aussi pour tous les autres en difficulté, grâce, notamment, à la collaboration avec des personnes formées et compétentes dans leur domaine, par exemple. Il faut également que les élèves intégrés se sentent encadrés, et non simplement laissés pour compte dans un coin de la classe parce que l'enseignant ne peut pas prendre en charge un élève avec une problématique lourde à gérer dans le contexte d'une classe à effectif ordinaire. Les familles doivent également être entendues et reconnues dans le travail éducatif qu'elles fournissent tous les jours; cela demande également une disponibilité accrue de l'enseignant auprès de ces familles. C'est vers une nette complexification de la prise en charge des élèves que se dirige l'école genevoise.

Cette vision de l'école nécessite un investissement financier important que le Grand Conseil refuse d'octroyer, alors qu'il a lui-même adopté et encouragé ce projet. Ainsi, la SPG refuse l'école inclusive sans moyens supplémentaires. Sans ceux-ci, tous les acteurs du système scolaire (enseignants, parents et élèves à besoins spécifiques ou non) en subiront les conséquences. Les familles ne seront pas écoutées, les élèves en difficulté ne pourront plus être aidés correctement, les élèves inclus dans une classe le seront simplement physiquement et les enseignants, dépassés par cette charge de travail supplémentaire et sans ressources additionnelles, risquent fort de s'épuiser.

Pour l'instant, les enseignants portent à bout de bras l'intégration d'élèves à besoins spécifiques dans les classes. Les aides proposées par l'institution sont des directives, avec des mesures à appliquer, si l'on considère ce qui a été prévu pour les élèves dys- et les élèves atteints de troubles du spectre autistique. Or, ce ne sont pas des aides pour les enseignants. Il faudrait pouvoir offrir un accompagnement aux collègues concernés, sous une forme qui reste à définir et que nous sommes prêts à discuter. L'annonce de l'ouverture d'un chantier autour de l'école inclusive a fait naître des espoirs chez les enseignants, rapidement déçus par les réalisations. Le vote des membres présents à l'AGE est à la hauteur de cette déception. C'est donc presque normalement que le projet s'enlisera faute de moyens, indépendamment du vote de la SPG, parce qu'il ne se réalisera pas malgré les enseignants, ni au prix de leur épuisement professionnel. Ce vote de protestation est un signal d'alerte sur les limites du système, et un avertissement que tout s'arrêtera si les postes d'enseignants sont supprimés au primaire: 5% de postes en moins, même si les enseignants restant travaillent deux heures de plus, marquera la fin du développement de l'école inclusive. En effet, faire travailler plus les enseignants ne saurait remplacer les forces de travail qui seraient ainsi supprimées. Pour ces raisons, les membres de la SPG ont voté cette résolution. L'école inclusive est un projet magnifique qui nécessite des moyens financiers importants afin qu'il ne tourne pas au cauchemar pour tous.

Opinions Agora Laurent Vité

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