Agora

L’initiative de l’UDC remet en question un garde-fou

DÉMOCRATIE DIRECTE • Droits humains versus démocratie, c’est le «débat inquiétant» que souhaite mener l’UDC avec son initiative «le droit suisse au lieu des juges étrangers (pour l’autodétermination)», relève Daniel Fyfe.

Notre démocratie donne, bien heureusement, le droit à tout et à chacun de se réjouir ou de s’inquiéter de la progression de l’UDC lors des élections nationales récentes. Toutefois, l’initiative «le droit suisse au lieu des juges étrangers (pour autodétermination)» portée par le plus grand parti de Suisse devrait être une source d’inquiétude pour tous les citoyens de ce pays. Cette fois-ci, ce ne sont pas les musulmans, les étrangers criminels, les immigrés, les demandeurs d’asile, ou quelques autres moutons noirs qui sont visés. Ce sont les droits les plus fondamentaux de tous les habitants de ce pays qui sont potentiellement en danger avec cette initiative. Passé sous silence pendant cette campagne, ce texte constitutionnel a pour but de «conserver une démocratie directe unique au monde1 value="1">www.udc.ch/campagnes/apercu/initiative-pour-le28099autodetermination/de-quoi-se28099agit-il/» en plaçant ainsi la volonté du peuple au-dessus du droit international, sauf le droit international impératif ou jus cogens2 value="2">Les normes du droit impératif sont des normes auxquelles aucune dérogation n’est possible. Elles comprennent par exemple la prohibition de la torture.. «Le droit suisse doit être formulé sur une base démocratique, donc par le peuple et les cantons ou par le parlement et non pas par des fonctionnaires et des juges d’organisations internationales et de tribunaux étrangers (…). La Suisse protège de manière autonome les droits de l’homme et les droits fondamentaux3 value="2">Les normes du droit impératif sont des normes auxquelles aucune dérogation n’est possible. Elles comprennent par exemple la prohibition de la torture.», lit-on sur le site internet de l’UDC4 value="3">www.udc.ch/campagnes/apercu/initiative-pour-le28099autodetermination/de-quoi-se28099agit-il/. Concrètement, dans les cas où le droit suisse serait en contradiction avec le droit international, comme dans le cas de l’initiative pour le renvoi des criminels étrangers ou de l’initiative contre l’immigration de masse et de l’initiative pour l’internement à vie, la Suisse se verrait obliger de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Bien qu’il soit vrai que notre système démocratique permette au peuple de décider, la majorité populaire n’a pour autant toujours raison dans ses choix. Même le peuple a besoin de garde-fous. L’UDC ne devrait pas oublier que notre système politique s’est construit sur ces garde-fous, tels que la protection des minorités garantie par le bicaméralisme parlementaire, le fédéralisme ou bien la double majorité requise lors de certaines votations populaires. Les droits fondamentaux représentent également des garde-fous à notre système démocratique. Déjà dans la Constitution suisse de 1848, un certain nombre de droits fondamentaux tels que la liberté de presse ou la liberté d’association étaient garantis. La ratification de la CEDH par la Suisse en 1974 est un prolongement de la volonté de notre pays de garantir les droits humains de toutes et tous: elle permet à tout habitant de la Suisse de faire recours à la Cour européenne des droits de l’homme si elle/il estime que ses droits, inscrits dans la Convention, ont été violés par son Etat.

Avec son initiative, l’UDC remet en cause la protection internationale des droits humains des personnes en Suisse. Par là même, elle remet en cause le consensus qui s’est construit entre membres de la communauté internationale au sortir des horreurs de la Seconde Guerre mondiale sur la nécessité d’un droit international relatif aux droits de l’homme: le droit international doit protéger les droits les plus fondamentaux des individus afin d’éviter toute impunité au niveau national. C’est cette protection, ce garde-fou contre les décisions de la majorité démocratique, que l’UDC remet dangereusement en question.

La souveraineté populaire a certes une grande place dans l’histoire politique suisse, comme aime le rappeler l’UDC. Or la protection les droits de tous les individus des décisions majoritaires, à l’image de nombreuses institutions politiques mentionnées auparavant, est aussi fondamentale à notre système politique. Bien que la Suisse ait été neutre pendant la Seconde Guerre mondiale, la volonté d’éviter toute répétition de cette période sombre de l’histoire et de garantir la protection internationale des droits humains par la CEDH ou d’autres pactes internationaux font aussi partie de notre héritage politique. N’oublions pas cet héritage-là!
 

Notes[+]

* Formation en droits humains à la London School of Economics and Political Science, militant pour les droits humains, Genève.

Opinions Agora Daniel Fyfe

Connexion