Contrechamp

À propos de l’islam

RELIGIONS • «Toutes les religions accouchent d’intégristes qui font une lecture littérale et sacralisée des textes», relève Jacques Mino. Face aux fantasmes de l’extrême droite, le théologien rappelle que les textes des grands penseurs musulmans «ont fondé l’islam des lumières».

La droite populiste désigne toujours des boucs émissaires, hier les juifs, aujourd’hui les musulmans assignés à une lecture radicale du Coran, tout en défendant la colonisation de la Palestine au nom d’une lecture toute aussi intégriste de la Bible1 value="1">A l’instar de Pegisa en Allemagne, il s’agit ici notamment de l’abbé Alain Arbez ou des journalistes Pierre Cassen, Mireille Vallette et Michel Garroté.. Il faut prendre la peine de déconstruire les arguments de ces nouveaux croisés dans leur diabolisation des musulmans, réfléchir à la complexité de l’Islam et aborder ce qui motive la grande majorité des musulmans à vivre dans le respect des autres. Il faut surtout dénoncer une manipulation qui consiste à détourner sur le terrain des religions les vrais problèmes sociaux et économiques qui sont d’ordre politique.

Si l’on peut souhaiter que toutes les religions ne relèvent que de la sphère privée et que toute lutte de libération soit menée indépendamment du fait religieux, il est utile de rappeler que les croyances imprègnent encore une grande part de l’humanité et de ses comportements et font donc partie du problème.

Toutes les religions accouchent d’intégristes, qui font une lecture littérale des textes, à la recherche de la possession de la vérité révélée. Ces textes, dès lors sacralisés, ne peuvent être que commentés, sans pouvoir être interprétés. C’est le monde des vérités à croire et des règles à suivre, qui aboutit à l’exclusion de ceux et de celles qui ne se plient pas à la loi, aux coutumes, à la tradition. Nous retrouvons ainsi ce fanatisme dans les trois monothéismes, avec notamment la soumission des femmes et les interdits sexuels de tout genre.

Bien que revendiquant un message de paix et de tolérance, ces trois religions se valent dans la violence politique. C’est dans leur optique naturelle de viser des objectifs théocratiques et contraignants dès qu’elles s’institutionnalisent, car elles doivent s’assurer d’un pouvoir civil et économique pour garantir leur survie et leur expansion par tous les moyens, y compris la guerre et le meurtre.

• L’Ancien Testament. Compilation de récits mythiques, il reflète un Dieu protecteur pour son peuple, mais surtout vengeur (fin du paradis terrestre, déluge, sept plaies d’Egypte, Sodome) et armé (sabbaoth), qui incite les tribus «élues» d’Israël à exterminer les tribus peuplant la Terre de Canaan, où femmes et enfants devront être passés au fil de l’épée (lire ci-dessous).

• Le Nouveau Testament. Le Dieu du nouveau Testament permet lui aussi des approches contradictoires. D’une part, Jésus témoigne d’un Dieu Père, tout en reprenant et élargissant à l’adresse de tous les peuples le précepte «aime ton prochain comme toi-même». Des siècles de mystiques et de penseurs chrétiens ont développé une exégèse ouverte des Evangiles. Bien que ces textes, datant de la période de la Pax romana, soient peu guerriers, cette croyance va cependant se répandre dans l’empire sur les traces des armées romaines, puis sur les pas des conquérants européens, avant de diviser l’Europe des guerres de religion. Une interprétation intégriste, nourrie de la «Tradition» et définie par 21 Concile, permettra de rigidifier la doctrine et la discipline en vue d’imposer le pouvoir absolu de la Curie et du Pape, ce qui a conduit l’Eglise à des pratiques abominables (lire ci-dessous).

• Le Coran. Il a été écrit au 7e siècle sur une courte période, époque où le Prophète et sa tribu devaient se défendre armes à la main pour sauver leur vie puis pour s’imposer. Mahomet est un commerçant chef de tribu, dans un monde violent de razzia. Il instaure des règles permettant d’y mettre de l’ordre, d’où de nombreux versets guerriers invoqués par les plus fous des djihadistes pour massacrer leurs adversaires (lire ci-dessous).

Mais il est une autre lecture possible des textes religieux, lorsqu’elle leur accorde le statut d’un ensemble d’écrits humains, qu’il faut analyser sans garantir la possession exclusive d’une vérité révélée. Très tôt, le débat s’est ainsi instauré au sein de la communauté musulmane entre les tenants d’une application littérale des textes et ceux qui voyaient la nécessité de les interpréter à la lumière de l’histoire et de leurs contradictions internes. Ce débat opposait les fondamentalistes aux rationalistes et spiritualistes et il traverse encore la communauté musulmane, comme il traverse celle du monde chrétien ou du monde juif contemporain.
C’est pourquoi, face aux fantasmes de l’extrême droite, mais aussi face au mouvement réactionnaire des salafistes et autres intégristes musulmans, il faut rappeler les textes du Coran porteurs de paix.

Du 8e siècle à nos jours, des croyants musulmans turcs, perses, arabes ou européens, philosophes, poètes, mystiques ou savants (lire ci-contre), sont ainsi à la source d’une pensée laïque et humaniste des textes du Coran interdisant la contrainte en religion (sourates 2,v.256; 29,v.46; 10,v.9; 109,v.6), prônant le respect des gens du Livre (s.29,v.46; 60,v.8; 16,v.125) et de la vie (s.5,v.32), interdisant le suicide (s.4,v.29), prônant la tolérance (s.41,v34) et les bonnes œuvres (s.2,v.148 et 5,v.48), invitant à pratiquer une conversion intérieure – le djihad– (s.22,v.78; 49,v.15) et intellectuelle – l’ijtihad – (s.18,v.65) et à interpréter le texte au-delà des apparences du récit (s.18,v.59-81), en tenant compte des versets qui s’annulent (s.2,v.106; s.16,v.101) et des révélations antérieures (s.19,v.58; s.2,v.8).
Leur pensée guide l’immense majorité des musulmans, dont les soufistes (voie mystique humaniste et égalitaire), les malékistes, les alévis ou bektachis («il faut retirer du Coran l’amande de la Connaissance et laisser aux bigots la coque vide de la loi coranique»), ces derniers étant majoritaires en Afrique du Nord, en Turquie ou dans les Balkans.

Les religions sont régulièrement invoquées pour justifier les guerres au bénéfice d’ambitions individuelles, d’extensions territoriales ou d’ouvertures de marchés: hier, guerres de Croisades et de colonisations, aujourd’hui, lutte entre sunnites et chiites, musulmans, juifs ou chrétiens pour se répartir les territoires du Moyen-Orient. Sous couvert d’une lecture intégriste du Coran, les fondamentalistes salafistes de l’Arabie Saoudite wahhabite s’en prennent à la modernité véhiculée par l’Occident, dénoncé hier comme le colonisateur et aujourd’hui comme prédateur de richesses et fauteur de guerres.

Ces démarches se calquent sur celle du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou qui cite une lecture littérale de la Bible devant l’ONU pour affirmer que la Palestine appartient depuis plus de 3000 ans au peuple juif et justifier la colonisation de ce territoire, ainsi que l’élimination d’un peuple.

Ce mélange des genres est à la source d’une répression qui s’abat sur des populations chrétiennes, mais bien plus souvent sur des populations musulmanes, comme aujourd’hui en Palestine, Irak, Syrie, Lybie, Egypte, au Mali ou au Nigéria.

L’embrigadement de fondamentalistes ou d’intégristes de tous bords dans une guerre de religions, du Bien contre le Mal, de la démocratie contre la ty

rannie, ne relève donc que d’un mythique et trompeur choc des civilisations, en vue de masquer des rapports de force politico-économiques peu avouables.
Cette duperie escamote l’analyse de ce qui conduit aussi l’Occident à déclencher des guerres impérialistes et notamment l’Europe à marginaliser et à mépriser tout un prolétariat laissé sans perspectives, voué au chômage et à la précarité, ainsi qu’à délaisser le principal et nécessaire combat pour des rapports sociaux et économiques plus justes entre les hommes et entre les nations.

THÉOCRATIE CHRÉTIENNE

Croisades, inquisition et conquêtes

– 11e siècle: 1e Croisade: massacre des juifs de Mayence, de la population de Sembin et de tous les juifs et musulmans de Jérusalem;
– 12e s.: Fondation de l’Inquisition, à l’origine d’innombrables procès et meurtres durant six siècles;
– 13e s.: 4e Croisade: massacre des chrétiens orthodoxes, juifs et musulmans de Constantinople, extermination des Albigeois;
– 15e - 18e s.: Inquisition espagnole contre des dizaines de milliers de juifs et musulmans, début de la chasse aux sorcières: des milliers de femmes et d’enfants seront brûlés vifs par les catholiques et les protestants;
– 15e - 19e s
.: Traite de millions d’esclaves africains par les chrétiens d’Europe;
– 16e s.: Massacres des Indiens d’Amérique du Sud par les Espagnols et les Portugais, massacre de la Saint- Barthélémy, Giordano Bruno brûlé vif, condamnation des travaux de Copernic et de Galilée;
– 17e s.: Pogroms en Ukraine;
– 19e s.: Massacre des Indiens d’Amérique du Nord par les protestants, nouveaux pogroms en Ukraine;
– 20e s.: Premier génocide du siècle: les colons allemands assassinent 80% des Hereros et Namas de Namibie;
– 1939-1945: Nombre de protestants et catholiques allemands, français, polonais, croates, hongrois ou ukrainiens participent activement au massacre des juifs;
– 1945: Filière vaticane pour la fuite d’officiers nazis;
– 1945: Massacre de milliers d’Algériens à Sétif, puis en 1947: massacre de 100 000 Malgaches par l’armée française;
– 1946: Pogrom de Kielce en Pologne;
– 1965: Concile du Vatican II: reconnaissance de la liberté religieuse, mais pas de la liberté de conscience;
– 1995: Des chrétiens croates et serbes assassinent des milliers de musulmans bosniaques;
– 2000 ss: Les fondamentalistes américains sont à l’origine de l’assassinat des dizaines de milliers de civils musulmans afghans et irakiens.

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THÉOCRATIE JUIVE

Conquêtes armées

Conquêtes de la Palestine avant JC et au 20e siècle. Les textes de l’Ancien Testament (Exode: 17.v.8-16, Deutéronome: 31.v.7-8/34.v.9, Josué: 6.v.21/7.v.7-26/10.v.11-32/11.v.20-23) sont encore invoqués en Israël pour perpétrer les crimes contre les Palestiniens.

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THÉOCRATIE MUSULMANE

Une succession de massacres

– 7e siècle: Massacres en Syrie, Iran, Irak, Mésopotamie, Egypte, Arménie, Afrique du Nord (Tripoli, Carthage…);
– 8e s.: Mise à mort des libres penseurs Djad Ibn Dirham, Ibn Al Muquaffa, Ibn Abi-I-Awja, Salih B.Abd Al Quddus, Hammad Ajrad et Abu Atahiya, massacres en Inde;
– 12e s.: Massacre de moines bouddhistes;
– 13e s.: Massacre de chrétiens à Antioche, Damas et Safad;
– 14e s.: Mise en esclavage de toute une population de l’Inde;
– 16e - : massacres en Inde;
– 18e - 20e s.: Traite orientale de millions d’esclaves africains;
– 1915: Massacre des Arméniens de Turquie;
– 1965: Massacre en Indonésie;
– 1975: Massacre au Timor oriental;
– 20e – 21e s.: Massacres en Algérie, au Liban, Irak, Syrie, Lybie, Egypte, au Mali et au Nigéria.

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REPÈRES

Les penseurs musulmans

>  8e siècle: Rabi’a al-Adawiya, femme mystique de Bagdad, fonde le soufisme comme voie spirituelle. Malik ibn Anas défend le peuple contre les excès du pouvoir et prêche l’ascétisme. Il est à l’origine du malékisme qui inspire une grande partie des musulmans d’Afrique, du Moyen-Orient, de l’Asie centrale, de l’Inde et du monde turc. Le courant philosophique mu’tazilite débute et inspirera des penseurs rationalistes jusqu’au 13e siècle;
>  9e s.: Al Kindi, savant et philosophe arabe, développe ce courant (Falsafa) à partir de la philosophie d’Aristote;
>  10e s.: Al Razi, philosophe persan, et Al-Farabi, philosophe turcopersan, enseignent que la philosophie, étant universelle, doit l’emporter sur la foi religieuse. Il n’y a qu’une seule vérité, que l’une et l’autre expriment également. Abd al Jabbar, théologien de Bagdad, défend le libre arbitre;
>  11e s.: Ahmed Yesevi, poète mystique turkmène, puis Avicenne (Ibn Sina) et Al-Biruni, philosophes et savants perses, alimentent ce même courant, en encyclopédistes de la diversité des cultures;
>  12e s.: Ibn Arabi, poète hispano-arabe, traite de la vie spirituelle et amoureuse. Averroes (Ibn Rochd), savant berbère andalou, commente Aristote, et passe pour l’un des fondateurs de la pensée laïque en Europe;
>  13e s.: Djalal ad-Din Rûmi, mystique persan de Konya, influence profondément le soufisme. Nasr Eddin, enseignant turc, joue le bouffon insolent. Bektas Veli, philosophe mystique turc, répand l’alévisme et le bektachisme. L’UNESCO y reconnaît les prémisses des idées reprises dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Les musulmans de Turquie, des Balkans ou d’Afrique du Nord sont issus de ce courant pacifiste et laïcisant;
>  14e s.: Le Tunisien Ibn Khaldoun fonde la sociologie moderne;
>  19e s.: Le mouvement Nahda, en Egypte et au Liban, veut renouveler l’identité du monde arabe par la raison et la démocratie. Al-Tahtawi, voyageur et enseignant égyptien, Farah Antoun, écrivain libanais, Mohamed Abdu, juriste égyptien, participent de cet élan modernisateur. Abd-el-Kader (Emir algérien qui combat la colonisation française), philosophe et théologien soufi, développe une exégèse humaniste;
>  20e s.: Ali Ab dar-Raziq, penseur égyptien, Sadiq al-Azm, intellectuel syrien, Nur Farwaj, écrivain égyptien, Rachid Boudjedra, dramaturge algérien, Jamal Al-Din, réformiste afghan, plaident pour la séparation de la religion et de l’Etat. Mohammed Arkoun, historien algérien, plaide pour un Islam repensé et laïc. Malek Chebel, algérien, anthropologue des religions, défend un Islam libéral. Mohamed Iqbal, poète pakistanais, défend une interprétation libérale des textes. Ali Shari’ati, philosophe iranien, défend une lecture moderniste des textes;
>  21e s.: Al Benmaklouf, penseur français, défend les philosophes arabes comme précurseurs de la philosophie occidentale. Abdennour Bidar, philosophe français, enjoint l’Islam de faire son autocritique et de s’ouvrir au spirituel pour cesser d’enfanter des monstres. Rachid Benzine, islamologue marocain, dénonce le juridisme sunnite paralysant et mortifère pour la pensée
musulmane.

Notes[+]

Opinions Contrechamp Jacques Mino

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