Chroniques

Irak, un petit vent d’espoir

THAWRA!

Depuis la fin du mois de juillet, et malgré des attentats terroristes continus de l’Etat Islamique contre des civils irakiens, des manifestations populaires massives ont eu lieu dans la capitale Baghdad et plusieurs villes du sud du pays pour dénoncer principalement la corruption et la faillite politique des partis politiques confessionnels au pouvoir en demandant notamment la dissolution du parlement, la fin de la domination du clergé sur la structure de l’Etat irakien et la modification de la Constitution de manière à mettre un terme aux quotas confessionnels. Les manifestations condamnaient également les pannes et coupures d’électricité continues, la détérioration des services publics et la non-redistribution des profits de la vente du pétrole aux classes populaires.

L’étincelle qui a provoqué cette colère généralisée, dont les sources sont beaucoup plus profondes, notamment l’autoritarisme croissant et l’absence de justice sociale avec plus de 35% d’Irakiens vivant sous le seuil de pauvreté, fait suite à la répression par les services de sécurités et milices réactionnaires chiites liés au gouvernement d’une manifestation demandant la fourniture d’électricité dans une région dans le nord de la ville de Bassorah causant la mort d’un manifestant et faisant 4 blessés.

Même si des partis conservateurs et alliés au gouvernement et des figures religieuses ont appelé à participer aux manifestations, sans mobiliser pour autant leurs membres, par opportunisme et tenter d’amadouer le mouvement, les manifestant-es, en grande majorité des jeunes avec une présence féminine importante, remettaient en cause le régime politique dans son entier…

On pouvait en effet entendre dans ces manifestations des appels pour un Etat laïc et non confessionnel, contre la division entre population sunnites et chiites, pour les droits des femmes et l’égalité, et une dénonciation claire des partis politiques confessionnelles avec des pancartes sur lesquelles on pouvait notamment lire «Le parlement et l’Etat Islamique (ou Daech) sont les deux faces d’une même pièce», «Daech est né des entrailles de votre corruption», «l’humain ne survit pas de la religion mais du pain et de la dignité», «au nom de la religion, ils agissent comme des voleurs», «non au confessionnalisme, non au nationalisme oui à l’humanité», «il n’y a pas de fin à la corruption dans un système confessionnel et nationaliste», etc.

L’ancien premier ministre Nouri al-Maliki, dont les huit années au pouvoir ont été entachées d’accusations de corruption, d’autoritarisme et d’aliénation de la population sunnite et qui a toujours une influence importante dans le régime irakien, surtout dans les services de sécurités et divers milices confessionnelles chiites, était particulièrement la cible des manifestant-es qui chantaient des slogans demandant qu’il soit jugé pour ses crimes et affaires de corruption. Des groupes de milices liés à l’ancien premier ministre ou bien à la République islamique d’Iran (RII) n’ont d’ailleurs pas hésité à s’attaquer à des manifestants à l’arme blanche dans certaines villes.

En plus une large foule dans la ville de Kerbala, haut lieu symbolique du chiisme, n’a pas hésité également à dénoncer les interventions de la RII dans les affaires internes du pays en chantant «Kerbala est libre, Téhéran dégage! Dégage!» après que des groupes de milices confessionnelles chiites, les «forces de mobilisations populaires», formés et structurés par le régime irakien avec l’assistance directe de représentants officiels de la RII pour combattre l’Etat Islamique, et des hommes du clergé shiite scandaient des slogans à la gloire du guide suprême iranien, Ali Khamenei. Les manifestant-es furent ensuite attaqués par ces milices.

Quelques jours après, toujours dans la ville de Kerbala, des manifestant-es ont tenté de prendre d’assaut le bâtiment du gouvernement local de la province, mais ils ont été repoussé par les forces de sécurité.

Ce mouvement populaire massif s’est accompagné aussi de grèves dans certains secteurs, particulièrement de l’énergie et de l’industrie, s’opposant aux privatisations et pour des meilleures conditions de travails.

Le gouvernement irakien dirigé par le premier ministre Haider al-Abadi, du mouvement fondamentaliste islamique chiite Dawa, a réagi à ces manifestations en faisant voter des nouvelles lois contre la corruption et a supprimé d’importants postes (notamment des trois vice-premiers ministres et trois vice-présidents, dont Nouri al-Maliki) et de privilèges des ministres et députés pour tenter de mettre fin à ce mouvement. Le programme proposé par le parlement porte également sur la «réduction immédiate et globale» du nombre très important de gardes du corps des officiels, sur la suppression des «provisions spéciales» allouées aux hauts responsables, et enfin sur l’abolition «des quotas confessionnels». Le plan propose que les responsables politiques ne soient plus choisis selon leur appartenance confessionnelle ou ethnique, mais selon «leurs compétences, leur honnêteté et leur expérience»…

Ces mesures resteront néanmoins probablement seulement propagandiste et un moyen de calmer la colère croissante des classes populaires irakiens, parce que les principaux bénéficiaires du régime confessionnel sont ces mêmes députés qui ont voté ces lois…

Il faut témoigner notre solidarité avec les masses populaires irakiennes, qui n’ont cessé de souffrir des oppressions locales, de la dictature de Saddam Hussein aux partis confessionnels et réactionnaires au pouvoir depuis 2005, et des interventions régionales, de la RII et des monarchies du Golfe, et internationales impérialistes, particulièrement des Etats-Unis de l’embargo à l’invasion et l’occupation militaire à partir de 2003, dans leurs luttes pour la démocratie, la justice sociale, l’égalité et contre le confessionnalisme.

C’est un petit vent d’espoir qui souffle d’Irak dans une région dominée et écrasée par des dictatures sanguinaires et des forces réactionnaires.

*Universitaire et militant de solidaritéS.

Opinions Chroniques Joseph Daher

Connexion