Chroniques

Des femmes à l’écran

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Le festival du film de Locarno qui vient de s’achever nous a donné l’occasion, une fois de plus, de réfléchir aux relations complexes entre les femmes et le cinéma: le type de rôles qui leur sont proposés, l’âge limite pour les jouer, le nombre restreint de réalisatrices, etc. Mais cela a déjà été maintes fois discuté, aussi cette chronique sera-t-elle avant tout une occasion de revenir sur quelques beaux moments de cinéma…

Tout d’abord, arrêtons-nous sur un court métrage libyen Land of men, repéré au milieu de dix courts métrages de ce pays en pleine transition. L’unique parlant des femmes et réalisé par… un homme, Kelly Ali. En 4 minutes, ce petit bijou fait le portrait d’une jeune femme qui évoque ses difficultés à devenir réalisatrice. Elle souligne qu’il est inenvisageable pour des hommes d’être dirigés par une femme (le cinéma n’échappe pas aux logiques en vigueur sur le marché du travail). Ce faisant, elle évoque les espoirs déçus des Libyennes après la révolution. Elles se sont mobilisées, ont manifesté, mais, très vite la société s’est à nouveau figée, en ce qui concerne leurs droits. Ce film a été produit dans le cadre d’un workshop organisé par le Scottish Film Institute, auquel, malgré ses efforts de recrutement, aucune femme n’a participé. Si Kelly Ali dit avoir été sensibilisé à la situation des femmes grâce à ses sœurs, les autres jeunes réalisateurs ont avoué avoir renoncé à mettre en scène des femmes, non pas par machisme, mais pour éviter les difficultés. En effet, les restrictions quant à l’accès des femmes à l’espace public sont telles, que faire un film devient une véritable gageure. Elles ne peuvent pas être filmées à l’extérieur, ni dans certaines conditions, etc. Kelly Ali a contourné ces contraintes en filmant sa protagoniste en voiture, le plus souvent en montrant ses yeux dans le rétroviseur. Son huis clos permet de réfléchir, au-delà du cinéma, à la situation des femmes dans la Libye d’aujourd’hui.

Ensuite, un long métrage danois Olmo & the Seagull de Petra Costa et Lea Glob, qui suit une comédienne se préparant à jouer Arkadina, l’un des personnages principaux de La Mouette de Tchekhov, et qui doit interrompre ce projet à cause d’une grossesse difficile. Si certains thèmes de la pièce apparaissent en filigrane: peur du vieillissement et du changement physique, d’autres plus inédits s’imposent. Outre l’exclusion du monde du travail, on voit apparaître chez cette jeune femme la crainte de devenir mère, les doutes, les angoisses. On voit en parallèle chez son compagnon, pourtant attentif et soutenant, les difficultés croissantes à comprendre sa partenaire, les tentations de fuite et d’évitement liées à des rythmes de vie désormais complètement opposés. Elle ne peut pas sortir de l’appartement, doit rester immobile, lui prépare une tournée et répète de plus en plus. Des sujets rarement explorés au cinéma sont mis en avant: le désir de faire reconnaître cette grossesse (bloquée chez elle, cette femme est isolée et vit cet état presque en secret) et en même temps l’envie qu’elle lui appartienne (lors d’une fête organisée pour la grossesse, chacun-e donne son avis). Rarement, on a pu voir au cinéma ce dont de nombreuses femmes témoignent après être devenue mères: une forme de dépossession de soi, de son corps, de ses choix concernant l’enfant. Une appropriation collective d’une rare violence, faisant de l’acte éminemment intime de porter et donner la vie, un objet de débat sans que la principale intéressée ne l’ait souhaité: risques pour la carrière, difficultés financières, allaitement ou non, éducation, etc. Un film sur la maternité d’une rare justesse, qui a relevé le défi de ne tomber ni dans l’émerveillement béat, ni dans le drame larmoyant.

Enfin, Amnesia le dernier long métrage de Barbet Schroeder proposé sur la Piazza Grande qui donne un rôle magnifique à Marthe Keller. Un rôle lumineux pour une actrice de 70 ans, c’est suffisamment rare pour être souligné. Il s’agit d’un film sur la mémoire et l’oubli, sur le rejet de l’Allemagne nazie, mais c’est aussi une histoire d’amour-tendresse entre cette femme âgée et un jeune homme de 25 ans, né bien après la guerre et refusant d’en être tenu pour responsable. A aucun moment l’âge n’est en question, ces deux personnages sont beaux dans la relation qui se tisse entre eux, hors du temps, dans un décor spectaculaire.
Ces films rappellent que les femmes font partie de la société civile, dans laquelle elles se battent au quotidien au côté des hommes pour que le monde change. Qu’elles refusent l’histoire de l’Allemagne nazie, qu’elles se battent pour choisir leurs destins professionnels ou privés ou encore qu’elles dénoncent la discrimination liée à la maternité, le cinéma les montre aujourd’hui présentes, déterminées, solidaires, fortes, incontournables. Merci au 7e art de continuer à nous faire réfléchir, mais aussi à nous faire rêver.

*Investigatrices en études genre.

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