Contrechamp

Une espèce menacée

MILITANTS DES DROITS HUMAINS • Sans protection des militants des droits humains, pas de défense des migrants. Alors que l’Europe se trouve confrontée à la gestion de ses flux migratoires, à Saltillo, au nord du Mexique, les droits des migrants passent avant tout par la protection de leurs défenseurs. Eclairage par Peace Brigades International.

Saltillo, capitale de l’Etat du Coahuila au Nord du Mexique, est une ville dont le destin ressemble fort étrangement à celui de Lampedusa. A l’image de cette île italienne, porte d’entrée en Europe actuellement prise d’assaut par nombre de migrants, la ville de Saltillo est située dans l’état de Coahuila, qui fait frontière avec les Etats-Unis. Elle constitue donc un territoire de transit très prisé des personnes attirées par le rêve américain. Si à Lampedusa, les migrants sont assistés dans leur drame par diverses organisations, la réalité est toute autre à Saltillo. Ici, il ne fait pas bon vivre en prenant la défense des migrants, si bien que seule une association a, jusque-là, eu le courage de s’engager en faveur de cette cause: la Casa del Migrante de Saltillo accueille les migrants et œuvre pour les sortir de l’anonymat, faire reconnaitre et garantir leurs droits.

Après des études en psychologie, Alberto Xicotencatl, responsable de l’association, en est venu à s’engager en faveur des migrants. Il résume: «Je n’ai jamais pu comprendre ou accepter qu’un petit nombre de personnes ait accès à certains privilèges comme l’éducation alors qu’une grande partie de la population manque de tout. J’ai donc décidé de travailler à réduire ces inégalités dans la société.» Il ajoute que ses collègues et lui sont révoltés par les souffrances «générées par la négation pure et simple de leurs droits» auxquelles les migrants doivent faire face.

Alberto dénonce l’actuelle politique migratoire créée par un système économique qui «en dehors de la migration, n’offre plus d’autre issue» aux populations pauvres, notamment d’Amérique latine. Il constate également qu’il n’existe aucune reconnaissance légale pour les migrants et souhaite qu’un premier pas soit fait pour les sortir de l’anonymat. «Nous réclamons au nom de la population migrante le droit à la liberté de mouvement, à la santé, à une justice équitable, à la nationalité, au logement et à une vie libre loin de toute violence», martèle-t-il.

Il insiste pour que toute tentative de contrôler l’immigration se déroule avec un minimum d’humanité. «On compare souvent les migrants à des marchandises. Mais même les marchandises sont mieux traitées et arrivent intactes à destination, les migrants non!», s’indigne le responsable de la Casa del Migrante. L’association cherche à éviter que les migrants qui parviennent jusqu’à Saltillo soient maltraités: «Ce que je vais dire peut sembler terrible, mais nous luttons pour que les migrants soient au moins traités comme des marchandises. Nous voulons qu’ils arrivent intacts, sur les plans physique et psychologique, à destination, quelle que soit l’issue de leur voyage – les Etats-Unis ou le renvoi dans leur pays d’origine.»

Quand défendre les droits humains rime avec violences et agressions
Le nord du Mexique est fortement industrialisé et les formations universitaires sont orientées sur l’économie ou la gestion d’entreprise. Peu de personnes se consacrent aux problématiques sociales. Dans un tel contexte, il n’en faut pas plus pour que la mission de la Casa del Migrante de Saltillo suscite des remous. A tel point qu’aujourd’hui, défendre les droits des migrants passe inévitablement par une protection de l’association et de ses membres.

C’est dans cette partie du Mexique, où les organisations internationales se comptent sur les doigts de la main, que Peace Brigades International (PBI) a installé l’un de ses bureaux en 2013 en raison des demandes grandissantes de plusieurs organisations locales. Les équipes PBI sont ainsi en première ligne pour accompagner les défenseurs des droits des migrants dans leurs activités quotidiennes et faire valoir leur travail auprès des autorités. «C’est important d’avoir, dans la région, une organisation neutre qui effectue pacifiquement des pressions politiques», explique Alberto Xicotencatl qui salue le fait que «PBI pose désormais ses yeux à un endroit où il n’y en avait aucune auparavant».

La présence de PBI aux côtés des membres de l’association Casa del Migrante de Saltillo vise, par ailleurs, à dissuader les attaques envers ces derniers. Leur travail de défense des droits humains les exposent, en effet, à des agressions. «Tous les membres de l’équipe font l’objet d’attaques, de harcèlement et de menaces de mort», confie l’activiste des droits humains. Depuis 2009, ces pratiques ont pris de l’ampleur: «Il y a trois ans, lorsque je rentrais chez moi, des agresseurs ont tenté de m’extirper de ma voiture. Je n’ai eu la vie sauve qu’en fuyant rapidement», raconte-t-il. Il garde également fraîchement en tête le fait qu’en 2013, une unité d’élite de la police, lourdement armée, a fait irruption au siège de son association sous le prétexte fallacieux qu’ils hébergeaient des criminels.

A force d’évoluer dans un environnement si austère, les défenseurs des droits humains finissent naturellement par changer leurs habitudes pour des raisons de survie. «Je ne peux pas me permettre de rentrer d’un mariage à cinq heures du matin. Je ne peux pas non plus manquer de vérifier si toutes les portes de ma maison sont fermées», livre Alberto, l’air impuissant. «A chaque fois qu’un membre de l’équipe a une activité à l’extérieur de nos bureaux, il doit en communiquer les détails à un collègue et le temps que l’on passe en famille ou en couple se réduit toujours un peu plus. C’est comme un petit enfant qui dépend de vous et pour qui il faut abandonner plusieurs choses: d’autres formations, une vie conventionnelle, des vacances pour déconnecter du travail. Finalement, la vie privée ne l’est plus vraiment. Mais c’est un choix. Ce n’est pas un travail ordinaire, c’est une façon de vivre», assure-t-il.

Face à l’augmentation des risques ces dernières années, certains membres de l’organisation ont démissionné. «Nous devons être prudents, mais nous ne vivons pas dans la peur. Nous sommes en état d’alerte permanent, ça s’apprend avec le temps et on s’y habitue. Vous savez, l’équipe est très soudée et nous prenons beaucoup de temps les uns pour les autres pour discuter de comment nous nous sentons.»

Torture et petites victoires
Malgré les intimidations dont ils font l’objet, les collaborateurs de la Casa del Migrante de Saltillo ne baissent pas les bras. Grâce à leur détermination et avec l’accompagnement de PBI, ils parviennent à réaliser de petites victoires. En 2013, l’association a pu documenter 35 cas de torture exercée par les forces de police sur les migrants. Ces révélations faisaient état d’abus sexuel sur les femmes, de torture de parents en présence de leurs enfants, d’électrocution des parties génitales et de l’introduction de substances nocives ou d’eau chaude dans les narines des migrants. L’ampleur des faits a créé un scandale dans la presse, à tel point que le gouvernement a dû annoncer l’ouverture d’une enquête.

En outre, l’association peut se targuer d’avoir opéré un changement profond des mentalités à Saltillo. «Au moment où nous avions ouvert, les habitants de la ville avaient récolté des signatures pour demander la fermeture du centre et jetaient même des pierres contre. Mais aujourd’hui, les mêmes personnes apportent de quoi manger aux migrants», témoigne avec satisfaction Alberto. Le militant des droits humains n’oublie pas non plus certains succès plus modestes. «Il y a trois ans, dit-il, nous avons offert protection à une dame du Salvador. Fuyant les coups de son mari, elle avait trouvé refuge au Guatemala, mais malheureusement elle y a été exploitée sexuellement. Après avoir échappé à ses ravisseurs, elle est parvenue jusqu’à la Casa del Migrante.» A la suite d’un accompagnement incluant un fort soutien psychologique, la Salvadorienne a retrouvé du travail et est aujourd’hui indépendante. «Cela fait partie de nos véritables succès!», se réjouit Alberto Xicotencatl, même si l’avenir en réservera certainement bien d’autres.
 

Peace Brigades International en bref

Peace Brigades International (PBI) est, depuis plus de trente ans, la principale organisation d’accompagnement protecteur non-armé et d’observation des droits humains dans les zones de conflit. Des équipes composées de volontaires internationaux accompagnent des personnes menacées par leur mobilisation en faveur de la paix et de la justice. Les équipes de terrain sont actuellement présentes au Mexique mais également au Guatemala, au Honduras, en Colombie, au Kenya et en Indonésie. Ouvert en 1999, le projet Mexique dispose, pour le moment, de trois bureaux dans le pays : à Mexico-City, à Oaxaca et à Chihuahua. Pour en savoir plus sur l’organisation et les possibilités de volontariat: www.peacebrigades.ch

* Coordination romande Peace Brigades International Suisse.

Opinions Contrechamp Céline Pellissier

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