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Les fusions de communes: une avancée politique

COMMUNES • Frédéric Mairy, conseiller communal de Val-de-Travers, réagit à l’Agora de Bernard Hugo sur les fusions communales.

Ainsi donc les fusions de communes seraient portées par des motivations purement financières et bureaucratiques, s’apparentant ainsi à de véritables «hold-up croissancistes» qui aboutissent, par une «dérégulation sauvage», à la «désintégration» des communautés locales.1 value="1">Lire Le Courrier du 5 avril 2014, «Fusions communales: le hold-up croissanciste parfait!», B. Hugo, du réseau Objection de Croissance Fribourg (ROC-FR), paru également dans Moins de mars-avril 2014.

Qu’il me soit permis ici de relever que la lecture des fusions peut être autre, à l’image de celle des communes du Val-de-Travers, que Bernard Hugo place on l’espère dans les «quelques cas particuliers» relevant quant à eux d’une «bonne idée», «au départ» tout du moins. Malgré tout l’attachement que je porte à Val-de-Travers, je peine toutefois à voir en quoi son processus de fusion, encouragé par le canton de Neuchâtel, relève à ce point du particulier pour que l’expérience qui y est vécue depuis plus de cinq ans ne puisse servir de base à quelques généralités.

Pour rappel, la fusion de neuf des onze communes du district du Val-de-Travers date de 2008. Considérée alors comme l’une des plus ambitieuses fusions jamais réalisée, elle se concrétisa l’année suivante par la naissance d’une commune forte de quelque 11 000 habitants répartis sur un territoire de plus de 12 000 hectares. Val-de-Travers s’apparente ainsi à l’une de ces «grandes entités administratives» décriées par M. Hugo.

Je ne m’attarderai pas sur les indicateurs financiers qui témoignent aujourd’hui du succès de l’opération et qui contrastent avec la situation critique que connaissaient nombre des anciennes communes: les comptes de Val-de-Travers ont chaque année bouclé dans le noir, la fortune a augmenté et la dette diminué sans que cela n’ait empêché la commune de se lancer dans une politique active d’investissements. La viabilité de la baisse du coefficient fiscal moyen liée à la fusion a été confirmée et n’a pas eu pour corolaire, à ma connaissance tout du moins, une diminution de la qualité de vie des citoyens.

Je ne m’appesantirai pas non plus sur le maintien d’une riche vie sociale et associative au sein de chacun des neuf villages fusionnés. Au chapitre de la vie citoyenne, il convient néanmoins de donner raison à M. Hugo sur un point: la fusion n’a pas accentué la participation à la vie politique, au contraire. Les partis peinent à «remplir leurs listes» lors des élections et les départs au sein du Conseil général (législatif) sont nombreux. Mais le mal n’est pas propre aux communes fusionnées ni plus aigu dans celles-ci. Il implique de retrouver les moyens de re-lier la population à la vie politique, ainsi qu’en fait l’expérience Val-de-Ruz, qui a choisi de mener un processus participatif pour accompagner les autorités dans la mise en place de cette nouvelle commune… fusionnée elle aussi.

Plus intéressant est de s’arrêter sur un élément que ne mentionne pas M. Hugo, et qui donne pourtant l’un de ses plus grands sens à la fusion: la dimension politique. Et plutôt trois fois qu’une.

Première avancée réalisée grâce à la fusion sur ce terrain: la suppression de la quasi-totalité des syndicats et autres structures intercommunales qui liaient les anciennes communes dans des domaines aussi variés que les infrastructures sportives, la gestion de l’eau et le traitement des déchets. Des entités qui, fonctionnant par un principe de délégation, avaient vu leurs centres de décision s’éloigner progressivement des citoyens. En reprenant ces tâches au sein de la nouvelle commune, la démocratie en est sortie gagnante.

La deuxième amélioration tient dans la capacité d’action de la commune elle-même. Alors que le champ d’intervention de la majorité des anciennes communes s’était passablement restreint au point de confondre politique et gestion, Val-de-Travers peut désormais faire des choix grâce à sa «masse critique» (laquelle a donc du bon!). Elle peut penser et articuler son développement territorial à une plus large échelle, accentuant les activités industrielles ici, favorisant l’habitat collectif ailleurs, prenant part au concours d’architecture Europan pour revitaliser sa plus importante friche industrielle. Elle s’est aussi dotée en à peine cinq ans de deux crédits-cadre de 1,5 million de francs qui lui permettent de soutenir des projets éligibles au titre de la nouvelle politique régionale et jouent ainsi un effet multiplicateur important. Afin de mener une réflexion globale et innovante en la matière, Val-de-Travers a également voté un crédit de 1 million de francs en faveur de sa promotion démographique et économique. La rationalisation de ses activités, dans les secteurs de la voirie ou de l’administration par exemple, a permis de réaliser des économies structurelles sans prétériter l’emploi pour autant. Particulièrement attachée à la préservation des ressources naturelles, la commune a investi dans un important chauffage à distance et fait le choix du bois pour améliorer l’isolation de son plus grand bâtiment.

Enfin, troisième percée politique: la fusion a offert un poids politique nouveau aux communes du Val-de-Travers qui, jusque là, n’avait que peu voix au chapitre à l’échelle d’un canton marqué par la présence de trois villes… et qui désormais en compte six! Car après Val-de-Travers, ce sont Val-de-Ruz et Milvignes (fusion d’Auvernier, Bôle et Colombier) qui ont vu le jour et qui modifient sensiblement la carte politique du canton, lui insufflant un dynamisme nouveau. Hier spectatrice, Val-de-Travers est aujourd’hui l’une des actrices du développement du canton. Ainsi, au final, si croissance il y a eu avec la fusion des communes du Val-de-Travers, c’est avant tout celle de la politique.
 

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