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Peut-on fonder le racisme en raisons? Le cas Champ-Dollon

RÉFLEXION • Poussant le raisonnement à l’extrême, Lukas à Porta s’emploie à montrer que le racisme – qui cible en fait les communautés culturelles – est un concept irrationnel.

Selon les chiffres fournis par l’administration pénitentiaire genevoise, plus de la moitié des détenus de la prison surpeuplée de Champ-Dollon sont musulmans. Or, seule une petite fraction de la population résidant dans le canton de Genève, environ 5%, appartient à cette communauté religieuse. Tient-on là une preuve que les musulmans sont des criminels en herbe?? Non. Pourquoi? Car les étrangers, les jeunes, les chômeurs, les moins diplômés ainsi que les hommes – des catégories que l’on peut suspecter d’être fortement associées à des séjours en prison – sont également surreprésentées au sein de la population musulmane. Avant de pouvoir affirmer de façon sûre que c’est bien l’appartenance de l’individu à une communauté religieuse qui explique sa plus forte propension à se retrouver derrière les barreaux, il faut rejeter les hypothèses concurrentes, soit s’assurer que la plupart des choses sont égales par ailleurs. Justement, que se passerait-il si, égales elles l’étaient?

Le raciste, exégète à ses heures, est convaincu que de croire en l’Islam rend plus criminel que de croire en une autre religion, chrétienne par exemple: il va donc affirmer que même si les paramètres susmentionnés étaient maintenus constants, contrôlés, il y aurait toujours un nombre plus important de musulmans emprisonnés. Grand seigneur, il admettra néanmoins que seule une fraction des musulmans embastillés à Champ-Dollon le sont parce qu’ils suivent les préceptes de leur religion, les autres l’étant pour d’autres raisons. Ces précautions méthodologiques prises, pourra-t-il enfin défendre sans rougir l’idée que les musulmans sont, plus encore que leurs amis chrétiens, des criminels en puissance??

Oui, bien sûr, à condition toutefois de démontrer qu’entre le moment où le musulman fut dénoncé par un voisin, appréhendé par un policier, placé en garde à vue, jugé, et le moment où il est sorti de prison, il n’aura jamais été traité de façon défavorable par rapport à un non-musulman. La possibilité d’un traitement inégal comme un profilage racial doit être exclue tout au long de la procédure judiciaire, et même au-delà, sans quoi la plus forte proportion de musulmans en prison ne pourra être utilisée comme justification pour fonder une croyance raciste.

En théorie, les racistes devraient lutter contre les discriminations raciales sous toutes leurs formes, faute de quoi ils perdraient tout espoir de fonder rationnellement leur conviction. En pratique, toutefois, ces derniers finissent généralement par comprendre que la mise en place d’une société plus juste risque d’ébranler leur croyance radicale, déjà mise à mal par une simple réflexion. Le danger, c’est que les «preuves» actuellement disponibles, conditionnelles, fragiles et douteuses soient – dans une société idéale ou proche de l’être – remplacées par une absence de preuves… ou de prisons.

Pragmatiques, les racistes préféreront sans doute abandonner un combat qu’ils auront tout de même eu le mérite d’envisager de mener. Mieux vaut être irrationnel et raciste que de suivre sa raison, de dépenser, temps, énergie et argent, ceci sans même être assuré d’obtenir la croyance escomptée. Dommage que les racistes se détournent de cette voie, car il ne semble pas que les personnes qui rejettent ce type de croyances aient sérieusement envisagé de l’explorer. Ma foi, la lutte contre les discriminations raciales attendra.

Mais en fait, chers politiciens, catholiques ou protestants, pourquoi diable y a-t-il autant de musulmans à Champ-Dollon? «Genevois pas»?
 

* Diplômé de sciences politiques et étudiant en informatique.

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