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Sécurité alimentaire, une culture «idéologique»

SUISSE • Agriculteur du Jura bernois, Paul Sautebin estime que l’initiative «pour la sécurité alimentaire», que s’apprêtent à lancer conjointement l’Union suisse des paysans et l’UDC, ne changera rien au sort des producteurs suisses.

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Débridée par le néolibéralisme, la concurrence ronge la société au profit d’une élite d’actionnaires et de boursicoteurs. L’agroindustrie, avec ses technosciences, et le mégacommerce dévorent les exploitations agricoles une à une. Chaque année, en Suisse, plus de 1500 exploitations agricoles ou d’élevage disparaissent. En réaction, les producteurs ont exprimé à maintes reprises la nécessité de prix rémunérateurs et d’une gestion par eux-mêmes des quantités à produire. La grève du lait en a été la forme de solidarité la plus manifeste. Spoliés jusque dans leurs exploitations par un marché libéralisé, ils appellent à une réorganisation de leur activité. En fait, ils cherchent le chemin qui leur permette de retrouver une souveraineté.

En réponse à ces appels, les organisations agricoles, par le biais de leurs faîtières politicienne et bureaucratique, leur servent de «la sécurité alimentaire», le vieux plat de l’OMC garni de l’alibi «démographie mondiale», de rondelles de proximité, de responsabilités, de souverainetés… Par hasard, ce plat vient d’être victorieusement réchauffé à Bali le 8 décembre dernier [lors de la 9e conférence ministérielle de l’OMC]!

En fait, le projet d’initiative pour la sécurité alimentaire de l’Union suisse des paysans (USP) est une coquille vide et lisse comme un papier à cigarette. Elle ne formule aucune condition, aucune mesure de protection des producteurs ou des consommateurs. Le lit du torrent dévastateur ne sera pas dévié, les businessmen de l’agro peuvent dormir tranquilles et verser des dons au bon parti. Le but recherché est surtout de rassembler les troupes dans une «grand-messe» assurant la continuité, sans tenir compte du changement majeur que constitue le nouvel ordre qu’a entraîné la libéralisation des marchés agricoles interne et mondial. Pourtant, ce changement nécessite incontestablement une réorganisation des producteurs atomisés par la libéralisation. La refonte des associations et coopératives de producteurs dans une forme mutualiste est certainement incontournable pour faire face à cette nouvelle configuration. Avec la plate initiative de l’USP ou les belles envolées de souveraineté alimentaire d’Uniterre, qui laissent la majorité des paysans sur le bord de la route, on est plus dans l’idéologie que dans la reconstruction du terrain social. Le champ libre ainsi laissé à la restructuration des campagnes portera forcément préjudice aux producteurs, à la qualité des produits et à l’environnement.

Par ailleurs, alors qu’il est évident que le taux d’approvisionnement ne pourra substantiellement augmenter, on passe sous la jambe les conditions d’importation des 50% restants de nos besoins alimentaires et fourragers. Aujourd’hui déjà, près du quart de notre bétail est nourri de fourrage d’importation: sus aux paysans du Sud chassés de leur terre, vive la monoculture destructive, sus aux prix équitables! Ainsi enfermée dans le cadre national, la sécurité alimentaire prend une dimension nationaliste et attise la guerre des ressources que se livrent les multinationales. Naguère, le plan Wahlen a mis les bonnes gens à genoux pour ramasser des patates, tandis que l’industrie d’armement et les banques faisaient leurs choux gras; aujourd’hui, les organisations paysannes demandent aux paysans et aux consommateurs de se mettre à genoux devant les transnationales qui font leur beurre!

L’effervescence actuelle en matière de politique agricole et alimentaire exprime la crise profonde engendrée – entre autres – par la surexploitation de la nature, l’industrialisation et l’intoxication de la nourriture et la mondialisation, aiguillées par une concurrence acharnée. Parmi les projets d’initiatives populaires en préparation, celle des Verts aurait l’avantage de brider la concurrence sur un point: exiger, pour les importations alimentaires et fourragères, l’application des mêmes conditions environnementales et de protection des animaux que celles pratiquées en Suisse. A défaut d’aborder la question sociale, se serait là déjà un petit pas à l’encontre du néolibéralisme. Ce pas permettrait aux producteurs d’en envisager ensuite un plus grand en s’appuyant sur la force sociale et politique qu’ils représentent.
 

* Paysan à La Ferrière (BE).

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