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Les réfugiés ont droit à une vie de famille

DROITS HUMAINS • Du droit à l’asile dérive le droit au respect de la vie familiale. Mais ce dernier soulève parfois des questions délicates. Caritas relaie un récent cas de jurisprudence en Suisse.

Le droit à l’asile est réglé en Suisse par la loi sur l’asile et la loi sur les étrangers. Il est également inscrit dans l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme: «Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays.» Mais que recouvre exactement cette notion? L’un des piliers du droit des réfugiés est le principe de non refoulement, qui interdit à un Etat de renvoyer un réfugié dans un pays où sa vie serait menacée. Le respect de la vie familiale constitue un autre droit fondamental.

Il faut savoir que les étrangers disposant d’une simple autorisation de séjour peuvent avoir le droit de faire venir leur conjoint en Suisse. Selon le Tribunal fédéral, cette dérogation à la loi sur les étrangers découle de la Convention européenne des droits de l’homme. Cependant, si le droit au regroupement familial est expressément prévu dans la loi fédérale sur l’asile, il faut également tenir compte de la loi sur les étrangers, laquelle pose certaines conditions.

Dans l’arrêt 2C_983/2012 du 5 septembre dernier, il était question du droit au regroupement familial pour la femme d’un réfugié d’origine érythréenne, qui disposait justement d’une autorisation de séjour en Suisse. Il avait contracté mariage après avoir fui son pays pour la Suisse, et sa femme était restée au Soudan.

Le Tribunal fédéral s’est prononcé comme suit: les étrangers qui disposent d’une autorisation de séjour possèdent, conformément à la loi sur les étrangers, un droit absolu au regroupement familial pour leur épouse, pour autant qu’ils remplissent les autres conditions prévues. Ceci est le cas lorsque la vie familiale n’est possible ni dans le pays d’origine, ni dans un pays tiers. Comme le but du regroupement familial est de permettre et d’assurer le ménage commun en Suisse, il convient, avant de l’autoriser, de situer le centre de vie de la famille: si celui-ci demeure à l’étranger, les conditions pour un regroupement ne sont pas remplies.

Cet arrêt peut sembler a priori positif pour les réfugiés. Cependant, le Tribunal fédéral a finalement refusé le regroupement familial dans ce cas particulier, au motif que le principal intéressé dépendait trop de l’aide sociale pour pouvoir faire venir son épouse en Suisse. Ainsi, le Tribunal fédéral a estimé que les conditions requises par la législation suisse et la jurisprudence européenne ne pouvaient pas être considérées comme remplies, tout en reconnaissant à l’intéressé le droit de faire une nouvelle demande dès que sa situation financière se serait consolidée.

Selon la loi sur les étrangers, le regroupement familial n’est possible que si la famille ne vit pas de l’aide sociale. Cette condition ne vaut toutefois que pour les réfugiés dont l’union conjugale n’a pas été créée avant le départ du pays – les autres réfugiés ont droit au regroupement familial indépendamment de leur situation financière.

Avec ce jugement, le Tribunal fédéral fait non seulement un pas en arrière d’un point de vue juridique, il omet également de prendre en considération la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, celle-ci a estimé, dans un cas survenu en Grande-Bretagne, qu’il n’y avait aucune raison de traiter différemment les réfugiés ayant contracté mariage après leur départ et ceux qui étaient déjà mariés avant de fuir leur pays1 value="1">Cf. arrêt de la chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme du 6.11.2012, Hode et Abdi vs UK..

Caritas Suisse partage cet avis, qui tient compte de la situation de nombreux réfugiés pour qui la vie familiale n’est possible que dans le pays d’accueil de l’un des époux. Le fait de lier le droit à la vie de famille à l’indépendance socio-économique est lourd de conséquences. En effet, assurer sa subsistance représente souvent un gros défi pour un réfugié et «retomber sur ses pattes» peut prendre du temps. En attendant d’y parvenir, il peut s’écouler des années pendant lesquelles l’intégration du reste de la famille sera laissée en plan.

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Opinions Agora Gabriella Tau

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