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La «réputation» de la Suisse est préservée par l’opacité du marché

MATIÈRES PREMIÈRES • Attac Suisse répond à Eric Scheidegger, du Seco, au sujet des réticences de la Suisse à réglementer davantage les transnationales du secteur.

Attac Suisse tient à réagir aux propos tenus par Eric Scheidegger, chef de la Direction de la politique économique du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), dans L’Agefi et Le Courrier1 value="1">Cf. articles parus dans L’Agefi du 7 février 2013 et Le Courrier du 18 février 2013..

Dans ces interviews, M. Scheidegger dit comprendre la perception par certains milieux politiques et ONG d’un «risque de réputation» pour la Suisse que représente le négoce des matières premières. Le danger provient, d’une part, du pouvoir des entreprises de ce secteur sur les marchés, en regard de leur taille, et du risque d’abus que cela implique. En effet, le chiffre d’affaires cumulé des trois plus grandes transnationales de négoce basées dans notre pays se monte à environ 600 milliards de francs. D’autre part, ces dernières sont actives dans des pays fragiles au niveau des institutions et où se posent des problèmes de corruption, de droits humains et d’Etat de droit. Malgré ces dangers, M. Scheidegger indique qu’«il est donc légitime de soulever la question, mais cela ne signifie pas que la Suisse doive impérativement introduire de nouvelles réglementations.»

Langue de bois néolibérale. Si l’on prend en considération les énormes dégâts provoqués par ces transnationales actives depuis la Suisse, ce genre de propos représente un bon exemple de langue de bois néolibérale. Tout d’abord, pour les centaines de milliers de personnes victimes des activités liées à l’extraction et au négoce de matières premières, dont il semble nécessaire de rappeler ici la violence, la «réputation» de la Suisse comme paradis légal et non contraignant à l’égard des transnationales accueillies à coups d’abattement fiscaux n’est plus à faire. Dans notre beau pays, qui se targue d’être un Etat de droit, aucune loi n’existe pour obliger les transnationales à respecter le droit à la nourriture, le droit à la terre et le droit à une vie décente des populations des régions d’extraction des matières premières. A ce stade, il ne s’agit pas de «surréglementer», comme se défend M. Scheidegger, mais de lancer le débat sur l’établissement de réglementations contraignantes pour ces transnationales, inexistantes à ce jour.

Plus loin, M. Scheidegger décharge la Suisse de ses responsabilités sur les gouvernements et les entreprises sur place. Pourtant, la situation de corruption endémique entre ces transnationales corruptrices et de faibles gouvernements corruptibles dont parlait M. Scheidegger au début de l’interview de L’Agefi, exige de toute évidence des sanctions de la part de la Suisse et des pays riches. Selon lui, la seule réglementation imaginable concernerait d’éventuels dysfonctionnements du marché. Les graves atteintes aux droits humains concernant les déplacements forcés des populations, l’accaparement des terres, la militarisation de régions entières ainsi que la dégradation de l’environnement des pays victimes de la cupidité de ces transnationales ne sont tout simplement pas abordés. L’opacité du marché des matières premières et le désintérêt pour la question de la part des médias lui semblent sans doute des remparts suffisants pour préserver la «réputation» de la Suisse.

La concurrence empêche de réglementer. Selon M. Scheidegger, la sacro-sainte concurrence de la Suisse avec des pays qui abritent d’autres transnationales du secteur du négoce (Singapour, Etats-Unis, Royaume-Uni, etc.) empêche une réglementation protégeant les populations affectées. En ce qui concerne la transparence des transactions des transnationales, M. Scheidegger n’a apparemment pas connaissance du fait que les Etats-Unis ont adopté des lois contraignant les firmes actives dans l’industrie pétrolière et minière à publier leurs paiements aux gouvernements des pays producteurs et que l’Union européenne s’apprête à en faire de même. Il n’a pas non plus connaissance des multiples campagnes anti-extractives qui ont vu le jour partout dans le monde, en Australie chez les Aborigènes, dans tous les pays d’Amérique du Sud concernés par l’industrie extractive et également en Europe de l’Est notamment contre l’extraction des gaz de schiste. De surcroît, actuellement, il est possible d’affirmer que les pays qui abritent des transnationales du négoce de matières premières doivent répondre à des groupes de pression, politiques ou ONG, qui exigent les mêmes réglementations que celles que nous revendiquons en Suisse.

Pour toute action, M. Scheidegger indique que la Suisse soutient de nombreuses initiatives dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises. Nous pouvons sans autre lui rappeler ce qu’il sait déjà: la responsabilité sociale des entreprises représente un manque à gagner pour ces dernières et donc, dans un système de profit maximal, sans obligations légales, elle est simplement ignorée.

Contre le mépris des droits humains, les citoyens s’engagent. Des dizaines de milliers de citoyens suisses se sentent de plus en plus choqués par cette attitude de mépris des droits humains élémentaires, non seulement de la part des milieux économiques, mais également de la part de notre appareil étatique totalement au service des transnationales, du monde de la finance et de l’économie. Nous, citoyens du monde, nous nous opposons à la guerre économique, organisée par ces puissants groupes et acceptée par nos gouvernements, et qui plonge chaque jour un nombre toujours plus grand de personnes dans la pauvreté. La Suisse ne peut pas continuer à servir de base aux transnationales responsables de ce que Jean Ziegler nomme la «Destruction massive».
 

Notes[+]

*Secrétaire général d’Attac Suisse.

Opinions Agora Rémy Gyger

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