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En finir avec l’impunité en Amérique latine

JUSTICE • Selon Alain Bovard, d’Amnesty international, l’Amérique latine a «parcouru un bon bout de chemin» dans la lutte contre l’impunité dont jouissaient les agents des anciennes dictatures.

La justice guatémaltèque a récemment décidé que suffisamment de preuves avaient été rassemblées pour pouvoir amener devant un tribunal Efrain Rios Montt, qui a dirigé la dictature de 1982 à 1983, et Jose Rodriguez Sanchez, ancien chef des renseignements militaires. Rios Montt est accusé d’avoir mis en place une politique de la terre brûlée contre le groupe ethnique Ixil dans le Nord du pays, qui a entraîné la mort de plus de 1700 personnes. C’est la première fois qu’un ancien chef d’Etat américain sera jugé pour génocide.

Même si ce procès doit encore surmonter de nombreux obstacles au Guatemala, il reflète une tendance générale à contourner les lois d’amnistie. Au cours de la dernière décade, dans plusieurs pays d’Amérique latine, les juges et les procureurs ont avancé dans des enquêtes sur des cas de disparitions forcées, de meurtres et de torture d’opposants politiques – réels ou supposés – aux anciens régimes dictatoriaux.

Les statistiques sont révélatrices. En Argentine, à la fin de 2012, 1886 personnes ont été traduites en justice pour des affaires datant de la «sale guerre» des années 1970. De nombreux accusés sont maintenant jugés dans des «méga procès» impliquant des douzaines d’accusés et des centaines de plaignants et de témoins.

Au Chili, 800 agents de l’Etat ont été ou sont encore jugés dans 1342 affaires pour assassinat, disparition forcée et torture pendant la dictature de Pinochet. 250 d’entre eux ont déjà été condamnés.

Au Pérou, l’ancien Président Fujimori a été condamné pour des délits de corruption et pour des violations des droits humains; plusieurs représentants de l’élite militaire sont également sous les verrous.

Des enquêtes ont été ouvertes et des poursuites engagées contre des agents de l’Etat pour des crimes relevant de la justice internationale en Uruguay, en Colombie, en Equateur et au Brésil.

Ce nombre croissant de procès est à relever parce que les régimes de transition qui ont suivi les dictatures latino-américaines ont presque toujours prononcé des lois d’amnistie visant à la «réconciliation nationale». Le temps passant, ces lois se sont lentement érodées sous la pression des familles des victimes et de la société civile, qui ont recherché les failles dans la loi et trouvé des solutions légales et politiques pour mettre fin à l’impunité dont jouissaient les militaires et leurs alliés.

La première leçon à retenir est celle de la persévérance. Il aura fallu vingt à trente ans pour que des procès voient le jour. Ceci démontre que les accords passés ne sont pas éternels et que l’impunité pour les crimes les plus graves n’est pas ancrée dans un socle d’airain.

Une autre leçon à retenir est celle de l’influence des institutions internationales. Diverses recommandations de la Commission interaméricaine des droits de l’homme critiquant les lois d’amnistie et les immunités accordées ont été à ce titre essentielles. Depuis 2001, la Cour américaine des droits de l’homme a suivi ces recommandations et prononcé divers jugements condamnant le Pérou, le Chili, le Brésil et, récemment le Salvador. Ces jugements ont été intégrés par les justices nationales et utilisés pour déclarer les lois d’amnistie contraires à la Constitution ou inapplicables aux crimes les plus graves. Les procédures ouvertes dans d’autres Etats, en particulier en Espagne, pour des crimes commis en Argentine, au Chili au Salvador et au Guatemala ont également créé une pression importante sur les juges nationaux.

Dans certains pays, les réformes du système judiciaire et la nomination de nouveaux juges mieux formés et plus conscients de leur rôle de protecteurs de la loi, les modifications de la procédure pénale, voire de la Constitution, sont d’autres éléments qui ont joué un rôle important dans ce revirement.

La mise en place de «commissions vérité», qui excluaient la possibilité d’ouvrir des procès, a joué un rôle important dans la récolte d’information, et permis de dénoncer publiquement l’ampleur des violations commises. Elles ont permis aux victimes d’être entendues et reconnues, condition nécessaire pour renforcer leur détermination à porter leur cas devant les tribunaux. Bien que certaines de ces commissions aient été initialement dénoncées comme des substituts de justice de deuxième classe, elles ont, avec le temps, montré qu’elles pouvaient être les précurseurs d’une véritable justice.

Si la réforme des forces de sécurité demeure insuffisante et la torture ou les attaques contre les civils restent malheureusement d’actualité, l’Amérique latine a néanmoins parcouru un bon bout de chemin sur la route qui mène à la fin de l’impunité.
 

* Juriste à la section suisse d’Amnesty International.

Opinions Agora Alain Bovard

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