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Peur et haine dans les rues d’Athènes

AGORA MIGRATION • En Grèce, les migrants vivent au gré des descentes policières et des exactions de sympathisants d’extrême droite.

Trois agents de police entourent deux hommes basanés dans une rue passante d’Athènes, où l’agitation se fait croissante. La scène n’est pas rare depuis la campagne de répression lancée il y a deux mois par le gouvernement grec à l’encontre des migrants sans papiers. Plus de 36 000 migrants ont été arrêtés, dont 9% placés en détention, dans le cadre de cette opération ironiquement baptisée Zeus Xénios – du nom du dieu grec de l’hospitalité.
«Même si vous avez des papiers en règle, ils vous arrêtent.» Kayu Ligopora, Tanzanien, vit en Grèce depuis trois ans: «Nous nous sentons menacés depuis les élections. Le pire, c’est qu’en cas de problèmes: vous ne savez pas où aller. Si vous appelez la police, elle vous demande vos papiers.» M.Ligopora est secrétaire de l’Association de la communauté tanzanienne, dont les bureaux ont été saccagés par une foule armée de massues, la nuit précédant son interview par IRIN. Des voisins ont aidé les vandales à briser les vitres de l’association après l’intervention de la police, qui a éloigné les meneurs, mais n’a procédé à aucune arrestation. Parmi les agresseurs, nombreux sont ceux qui portaient des T-shirts noirs au logo de l’Aube dorée, le parti d’extrême droite qui, avec près de 7% des suffrages aux élections de juin, occupe désormais 18 sièges au Parlement hellénique. La popularité de l’Aube dorée a grimpé à mesure que l’économie grecque s’effondrait, crise dont les chefs de file du parti rejettent la faute sur la croissance de l’immigration illégale de ces dernières années.
L’idée que les migrants sont responsables de la hausse de la criminalité et d’un taux de chômage de près de 25% s’est imposée, notamment dans des quartiers du centre d’Athènes, devenus des ghettos pour les migrants pauvres. Selon Nikitas Kanakis, directeur de la section grecque de Médecins du Monde (MDM), les efforts de la police pour «nettoyer» ces quartiers sont accueillis favorablement par une grande partie de la population: «Le parti fasciste [Aube dorée] a mis cet objectif à l’ordre du jour et tout le monde le suit, mais au-delà il n’y a pas de programme réel». Dans le quartier d’Omonoia, MDM offre gratuitement soins médicaux, services sociaux et conseils juridiques aux migrants et aux Grecs en situation de pauvreté.
A ce jour, environ 2200 sans-papiers ont été expulsés ou sont rentrés volontairement chez eux via l’Organisation internationale pour les migrations. En raison des places limitées dans les centres de rétention, les autres sont libérés au bout de quelques jours, voire quelques semaines. Ils ont alors sept jours pour quitter le pays.
Les contrôles ayant été renforcés dans les principaux ports comme Patras, où les migrants embarquaient clandestinement pour l’Italie, seuls ceux qui ont les moyens de payer les passeurs ou d’acheter un faux passeport européen ont une chance de quitter le pays. Les autres sont pris dans un cycle d’arrestations, détentions et remises en liberté que M.Kanakis décrit comme «un gaspillage de ressources et de vies».
Hamid, un réfugié afghan de 16 ans, a quitté l’Iran il y a 15 mois. Sa famille a payé des passeurs 5000 dollars pour le mener jusqu’en Grèce. Il a essayé à deux reprises de se cacher dans des camions quittant Patras pour l’Italie. Chaque fois, la police l’a attrapé et battu si violemment qu’il a dû aller à l’hôpital. Hamid passe ses journées à faire le tour des soupes populaires d’Athènes. La nuit, il dort dans le parc Pedíon Áreos, où il est régulièrement réveillé par des rondes de police. «S’ils nous trouvent, ils nous battent. Parfois, ils nous arrêtent, parfois ils déchirent juste nos papiers.»
La popularité de l’Aube dorée s’accompagne d’une hausse du nombre d’agressions contre les migrants, dont la majorité ne sont pas signalées. Un réseau d’ONG a enregistré 63 cas de violences racistes entre octobre et décembre 2011 à Athènes et Patras, dont 18 perpétrés par des policiers. Selon les ONG, «seulement la face visible de l’iceberg».

 

* Agence du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU.

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