Chroniques

Education et animalité

L’ACTUALITÉ AU PRISME DE LA PHILOSOPHIE

On a souvent, dans la littérature philosophique classique, opposé l’éducation humaine à l’animalité. Pour autant, cette opposition est-elle justifiée?

L’éducation comme distinction. Le philosophe Emmanuel Kant écrit ainsi dans son Traité sur la pédagogie: «L’homme est la seule créature qui soit susceptible d’éducation. […] La discipline nous fait passer de l’état d’animal à celui d’homme. Un animal est par son instinct même tout ce qu’il peut être.» Cette vision de l’éducation de l’être humain renvoie à une notion de l’humanisme classique, l’idée que l’être humain est susceptible de perfectibilité, qu’il n’est pas donné une fois pour toute. Au contraire, l’animal serait figé dans un instinct immuable.

Il faut dire que l’éthologie contemporaine a remis en question en partie cette idée. Si certains comportements animaux relèvent d’un instinct inné, certains ont besoin d’être appris au contact d’autres congénères.

L’éducation est également associée chez Kant à l’idée de discipline, comme c’est le cas aussi chez le sociologue Emile Durkheim. Mais l’éducation humaine est aussi souvent opposée au dressage des animaux. L’être humain doit être éduqué et non pas dressé. Il en va là encore de sa dignité. On ne pourrait pas à faire à l’être humain ce que l’on peut faire à l’animal. Ce serait inhumain de traiter ainsi un enfant.

On peut à l’inverse se demander s’il est normal de dresser les animaux. Est-ce qu’un tel comportement constitue une marque de la supériorité de l’être humain sur les autres animaux ou au contraire un comportement barbare? Car on peut dresser les animaux en les frappant et en les maltraitant.

Pourtant – et c’est là encore un des paradoxes de l’opposition entre l’éducation humaine et l’animalité – si l’être humain doit être éduqué, c’est pour l’éloigner des instincts animaux qui seraient à l’origine des comportements barbares et inhumains. On peut toutefois se demander pourquoi l’origine de comportements sadiques est attribuée à l’animalité. Il est possible au contraire de penser que certains comportements négatifs semblent exister chez l’être humain sans trouver leur origine chez les animaux, ou du moins qu’ils se trouvent exacerbés chez l’humain.

Humanisme et posthumanisme. Certaines penseuses et penseurs contemporains s’opposent à l’humanisme classique en se revendiquant d’une réflexion posthumaniste (c’est le cas par exemple de Rosi Braidotti). Pour ces auteurs et autrices, l’humanisme s’est érigé sur la capacité à créer une frontière entre l’humain et le non-humain et à attribuer une supériorité à l’humain. L’animal peut dès lors être assimilé chez certains auteurs comme Descartes à une machine. Rien n’interdit qu’il soit exploité ou maltraité.

Les auteurs et autrices posthumanistes font valoir que cette construction de l’humanisme classique a eu également du mal à reconnaître l’humanité des non-Européens en s’interrogeant, par exemple lors de la controverse de Valladolid, sur l’humanité des Indiens.

D’autres autrices ont fait également remarquer que c’est parfois également l’humanité des personnes en situation de handicap qui est interrogée. En effet, les caractéristiques attribuées comme étant le propre de l’Homme par les philosophes, telles que la capacité à raisonner, le langage articulé ou encore la conscience de soi, ne sont pas forcement partagées par tous les êtres humains.

Le traitement des animaux. Aujourd’hui, tout un champ de la philosophie est consacré au traitement des animaux, c’est ce que l’on appelle l’éthique animale. On est donc conduit à s’interroger sur le bien-fondé de cette affirmation selon laquelle l’éducation de l’être humain doit être pensée par opposition à l’animalité. On peut aussi s’interroger sur la tendance que nous avons à accuser l’animalité d’être à l’origine des turpitudes humaines.

Sociologue et philosophe de formation, ses recherches portent sur l’éducation populaire. Cofondatrice de l’IRESMO, Paris, http://iresmo.jimdo.com/

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