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Célibataires, des femmes subversives ?

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Les hasards du calendrier ont placé cette chronique le lendemain de la fête la plus commerciale et vide de sens qui soit. Aussi en profitons nous pour aborder un sujet souvent tabou: les femmes célibataires.

Malgré les évolutions sociétales, qui ont vu se développer les divorces, les familles recomposées, les familles arc-en-ciel, on assiste à un paradoxe: l’entité couple s’en sort renforcée. En effet, il peut être hétéro, gay ou bi, il peut se conjuguer au pluriel dans des formes plus ou moins complexes de polyamour, mais il apparaît plus que jamais comme un – le – socle de la société.

Tout d’abord, si l’on en croit les séries télévisées (Sex and the city) ou les comédies romantiques (Bridget’s Jones Diary), la célibataire est en attente, plus ou moins mal installée dans un statut qui ne demande qu’à changer, en quête du prince charmant, qui non seulement lui passera la bague au doigt et lui fera d’adorables bambins, mais surtout qui lui offrira une existence loin de ce statut stigmatisant.

Ensuite, la célibataire est devenue un thème de recherche. Pour éviter tout jugement, on parle de vie en «solo», qui à y regarder de plus près renvoie à «seule», un terme bien dépréciatif et légèrement réducteur. Faut-il comprendre qu’en l’absence d’un-e partenaire régulier dans son lit ou dans sa vie, toute vie sociale s’éclipserait? Exit ami-e-s, camarades et amant-e-s? Que voulez-vous ma bonne dame, on est seule ou on ne l’est pas!

Enfin, il semble que le célibat n’ait pas la même teinte selon les âges de la vie. Etre célibataire à 20 ans est considéré comme normal, on est encore nichée dans la chaleur rassurante du groupe (voire de la famille), les histoires d’amour sont autant d’expérimentations. Personne (ou presque) n’attend plus que l’on soit «casée» à cet âge. La trentaine a inventé la «célibattante», calquée sur la working-girl qui doit réussir sa vie professionnelle, et à défaut de sa vie amoureuse, sa vie sexuelle. Il faut être sur tous les fronts. Ainsi, être célibataire à 30 ans est assorti de nouvelles normes, auxquelles il faut se plier: celle de la croqueuse d’hommes, celle à qui tout réussit. Après, cela devient plus délicat, célibataire quadra ou quinqua est un statut qui n’est autorisé que de manière très provisoire, à la suite d’une rupture ou d’un divorce, mais là aussi l’injonction résonne: il faut vite retrouver quelqu’un! Il semblerait que vivre seule ne soit pas une option, à en croire l’offre de plus en plus fournie de sites de rencontres et autres voyages pour célibataires. A la soixantaine et au-delà, être célibataire est regardé avec compassion, parfois condescendance, on pense immédiatement au veuvage, mais là encore la donne a changé, voici les sites de rencontres pour seniors, impossible décidément de rester seule!

Le fait d’être célibataire, de ne pas se lamenter sur l’absence d’un-e partenaire, est visiblement difficilement supportable pour les personnes en couple. A en croire les remarques parfois assassines, l’état «naturel» de l’hominidé semble être sans alternative possible le couple. Comme pour les perruches, les inséparables ou les gants, on ne pourrait fonctionner que par paires.

Il existe peu de situations (à part le refus de procréer) où tout un chacun, des collègues aux voisin-e-s, de la boulangère au plombier (ou bien sûr du boulanger à la plombière), bref où tous les gens bien intentionnés se sentent autorisés à commenter: «Mais tu te bouges pour trouver quelqu’un?» et à s’inquiéter: «C’est pas trop déprimant?»

Dans une société où il faut être l’artisan-e de sa vie, ces rappels à l’ordre soulignent l’importance de travailler à sa mise en conformité sociale et de tout mettre en œuvre, sans relâche, pour être dans la norme du couple… Tant pis si on n’y est pas particulièrement attachée, mais c’est tellement rassurant pour tout le monde.

En effet, être célibataire, ne pas aller à toutes les soirées «petits billets», ne pas passer ses nuits sur des sites de rencontre est terriblement, profondément angoissant… pour les autres. Cela revient à leur dire qu’on peut vivre seule, sans homme (ou sans femme, mais la norme est avant tout hétérosexiste). C’est mettre en cause le modèle dominant, dire qu’au-delà d’un simple appariement, être avec quelqu’un est quelque chose qui se décide, se choisit et peut ou non se réaliser en fonction des rencontres et des hasards de la vie. Cela signifie que la vie en couple n’est pas un but en soi, qu’il n’est nul besoin de se rassurer en montrant qu’on a bien réussi à s’arrimer à quelqu’un, qui que ce soit, y compris si on s’ennuie dans une relation qui s’est essoufflée.

A voir les réactions que ce statut suscite, de la bienveillance inquiète à la brutale remise au pas, être célibataire semble aujourd’hui un choix particulièrement subversif tant il questionne le statut des femmes, leur indépendance, leur autonomie, leur choix de vie, et surtout leur liberté.

*Investigatrices en études genre.

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