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Trumpitude galopante

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Ce fut un mercredi matin à l’aube que le ciel nous tomba sur la tête. La nouvelle de l’élection de Donald Trump me plongea dans un accablement rongé d’inquiétude. Mon premier réflexe fut de me livrer à un calcul simpliste: entre le moment où Hitler accéda au pouvoir en 1933 et le déclenchement de la guerre, il se passa six ans. Six ans d’incertitude, de diplomatie hasardeuse et d’accords foireux. Mais surtout six ans pour doper l’industrie de l’armement, embobiner le peuple et faire rugir la menace national-socialiste. Avons-nous donc encore six ans de presque paix devant nous?

Je délire gravement? Ça se peut. Dans les innombrables commentaires lus et entendus ici ou là, personne ne semble partager mon effroi. J’ai d’ailleurs moi aussi commencé à remiser mes grands mots, parce que, voyez-vous, une entreprise de banalisation du mal s’est promptement mise en place. Depuis le 9 novembre, chaque jour amène son lot de supputations rassurantes: il ne construira pas son mur; il ne parle plus de bouter les musulmans hors du royaume; il va maintenir l’Obamacare; il reconstruira le pays, il modernisera les infrastructures, il fera redémarrer l’industrie. De plus, c’est un homme d’affaires, il saura gérer l’entreprise étatique, comme l’ont fait avant lui les amis de Goldmann Sachs, les Draghi, Monti, Berlusconi, Barroso ou Junker, tout ce petit monde qui barbote dans une sorte de marais politico-financier. Sans déclencher de Troisième Guerre mondiale. L’élection de Donald Trump ne serait-elle qu’un incident de parcours? J’ai des doutes.

La banalisation du phénomène Trump se nourrit aussi d’un sournois renversement de sens, selon lequel ce n’est pas lui qui a tout faux, c’est nous qui sommes nuls. Nous les «élites», nous la gauche, nous les compliqués, les hypertrophiés du bulbe, les fendeurs de cheveux en quatre; nous qui ignorons tout de la colère des laissés-pour-compte, du «vrai» peuple et du parler «vrai». Du coup, «l’élite» se livre à une autocritique hâtive et fait acte de contrition. Est-ce bien le moment? Car enfin c’est quoi parler vrai? Quand un milliardaire enfermé dans sa tour dorée prétend s’identifier aux pauvres et se dit proche des milieux populaires, pardon! Sa parole n’est qu’une écœurante imposture. Nous n’avons rien compris aux ravages de la mondialisation économique et de la «crise migratoire»? Mais qui les a causés, ces ravages, sinon ceux qui nous reprochent notre prétendu aveuglement? Et c’est parti pour continuer joyeusement à voir l’équipe dont Trump s’entoure: tous d’extrême droite et tous des vieux routiniers de cette «classe politique» dont il prétendait débarrasser le pays!

Rien de tout cela ne me rassure. Impossible de chasser ces images qui me hantent: des foules compactes, bras levé, acclamant le Führer; des masses hurlantes brandissant des pancartes «Make America great again!». On peut comprendre l’exaspération face à la précarité et l’injustice, mais donne-t-elle le droit de cogner son voisin, le musulman ou le Noir, ou, racisme au carré, le Noir musulman? La catastrophe n’est pas seulement le clown qui vient d’être élu, c’est ce qu’il déclenche en faisant sauter les digues de la haine, en offrant une tribune aux nazillons suprémacistes et aux zombies du Ku Klux Klan, emballés de blanc sous leurs chapeaux pointus, qui organisent un défilé de la victoire. Au fait, «great», dans la tête de Trump, ça veut dire quoi? Peut-être moins la grandeur que la puissance. Relancer le lobby militaro-industriel, abolir le traité sur le nucléaire iranien, soutenir sans conditions Israël dans son entreprise de colonisation, humilier la Chine, se recentrer sur les intérêts de la nation, mettre la «great America» aux côtés de la «grande Russie», main dans la main, ça ira jusqu’au jour où la soif de domination des uns entrera inévitablement en collision avec celle des autres, déclenchant la guerre de chacun contre tous.

Pendant toute la deuxième moitié du vingtième siècle, j’ai vécu, comme la majorité de mes contemporains, dans l’idée qu’on avançait vers un monde meilleur. «Plus jamais ça!». Je croyais à une évolution linéaire de nos sociétés: on construisait des ponts, on ébauchait un internationalisme pacifique, on signait des conventions sur les droits humains, on ouvrait des espaces de liberté. Et voilà que tout semble reculer, qu’on est pris dans un siphon qui nous entraîne vers des abîmes habités de bêtes immondes. J’entends s’élever la chorale des populistes fascisants de Suisse et du monde qui clament leur enthousiasme devant ce «souffle de liberté et de souveraineté» ou ce «miracle politique» comme dit le grand intellectuel qui déteste les Intellectuels, l’UDC Roger Koppel. Le coryphée Trump bat la mesure de cet hymne martelé par le grondement des tambours identitaires. Avouez que ça fait peur!

* Ancienne conseillère nationale.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary Transitions

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lundi 8 janvier 2018

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