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Accoucher à domicile avec l’aide d’une sage-femme?

Chronique des droits humains

Le 15 novembre dernier, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a dit, par 12 voix contre 5, que la République tchèque n’avait pas violé l’article 8 de la Convention qui garantit à toute personne son droit à sa vie privée et familiale. Elle a ainsi confirmé la conclusion à laquelle était parvenue, par six voix contre une, la 5ème chambre chargée initialement de cette affaire.

La Cour avait été saisie par deux ressortissantes tchèques. La première avait accouché à domicile le 11 mai 2011 seule, sans l’assistance d’une sage-femme, alors qu’elle avait requis tant de sa compagnie d’assurance-maladie que de l’administration publique régionale une telle assistance qui lui avait été refusée. La seconde avait accouché le 7 mai 2012 dans une maternité de province après avoir vainement tenté de pouvoir accoucher à domicile avec l’assistance d’une sage-femme.

La Cour rappelle que la notion de vie privée est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. La naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relèvent de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte, garantie par l’article 8 de la Convention. Dans le présent cas, la Cour a examiné le droit des requérantes à recourir à l’assistance de sages-femmes pour accoucher à domicile, la loi tchèque faisant peser sur les sages-femmes des menaces de sanctions qui, en pratique, les dissuadent de prêter pareille assistance.

Selon le deuxième paragraphe de l’article 8 CEDH, une ingérence d’une autorité publique dans la vie privée n’est admissible qu’à la condition que cette ingérence soit prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sécurité publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. La Cour a constaté que l’ingérence était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime, soit encourager les femmes à accoucher à l’hôpital, visant ainsi à protéger la santé et la sécurité de la mère et de l’enfant pendant et après l’accouchement.

Une ingérence est considérée comme nécessaire dans une société démocratique pour atteindre un but légitime si elle répond à un besoin social impérieux et, en particulier, si elle est proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour le justifier apparaissent pertinents et suffisants. La Cour rappelle qu’il appartient au premier chef aux autorités nationales de se prononcer sur le point de savoir où se situe le juste équilibre à ménager, mais que la Cour statue en définitive. Les autorités nationales disposent d’une certaine marge d’appréciation. Mais l’ampleur de cette marge est restreinte lorsqu’il s’agit de la jouissance effective des droits fondamentaux ou d’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu. En revanche, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, la marge d’appréciation est plus large.

La majorité de la Cour a estimé que, compte tenu de cette large marge d’appréciation, la République tchèque n’avait pas violé les droits des requérantes. Elle a toutefois incité l’Etat défendeur à poursuivre sa réflexion de modification législative de manière à ce que la loi ménage mieux l’équilibre entre les intérêts et respecte pleinement les droits des femmes en matière de santé génésique.

Quant à la minorité, composée notamment de la juge suisse, elle a considéré que le cadre législatif qui ne prévoyait qu’une seule et unique option pour l’accouchement, à savoir en milieu hospitalier, ne pouvait être considéré comme proportionné et ne pouvait être vu comme une ingérence nécessaire dans l’exercice par les femmes de leurs droits résultant de l’article 8 de la Convention.

Cet arrêt ne saurait ainsi être considéré, tant du point de vue de la majorité que de celui de la minorité, comme un blanc-seing de la situation actuelle en République tchèque.

* Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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