Chroniques

Les déterminants socio-environnementaux de santé encore trop sous-estimés

À votre santé!

Lorsqu’on parle de santé autour d’un café au bistrot, tout comme dans les réunions de professionnels, voire dans la formation de base des médecins, on pense encore trop souvent à celle qu’on a perdu et qu’il va falloir réparer. On cherche à décrire l’organe ou à préciser le système qui dysfonctionne dans le corps malade, pour lui fournir l’antidote ou le traitement nécessaire à sa récupération. Analyse, certes essentielle, qui a amélioré la prise en charge des patients, mais qui a plus de sens dans les situations de maladies aigues, souvent dues à une cause unique, surtout chez les individus jeunes, en particulier les enfants. Or la réalité sanitaire à laquelle nous sommes le plus souvent confrontés, en particulier en Suisse, est celle de la prédominance des maladies chroniques, qui nécessitent une approche globale intégrant l’analyse du contexte de vie, pour une prise en charge efficace des patients, mais aussi en tant que levier pour des actions de prévention primaire ou secondaire, voire même tertiaire.

Dans un monde globalisé comme le nôtre où les disparités sociales, tant entre régions géographiques qu’au sein même des pays, se sont creusées depuis trente ans, où le nombre de millionnaires ne cesse d’augmenter (360 000 en 2016 en Suisse) et le nombre de personnes vivant dans la pauvreté d’exploser (530 000 en 2016 en Suisse), il est de plus en plus clair que les conditions socio-économiques jouent un rôle prépondérant dans la santé et l’apparition de maladies. On peut ainsi mettre en évidence des facteurs de risques liés au niveau de formation, au type de travail, au revenu familial, au statut légal, à l’accessibilité aux soins, aux liens familiaux et sociaux, au lieu d’habitation, pour n’en citer que quelques-uns. Doit-on rappeler qu’en Suisse, près de 40% des gens vivent dans des zones où les pics de particules fines sont régulièrement dépassés, alors que les liens avec les maladies cardiaques et pulmonaires sont maintenant bien établis? Doit-on reparler du gradient très clair entre santé buccale et revenus, encore une fois documenté par de récentes études réalisées en Suisse romande? Doit-on citer les études mettant en lien le risque de surpoids, d’hypertension artérielle, de tabagisme et le statut socio-économique des personnes concernées?

Devant ces constatations et face à l’augmentation des coûts de la santé, il paraîtrait raisonnable de tenter d’améliorer la vie de tous les jours des gens. Dès lors, les priorités des professionnels de la santé, mais aussi des responsables politiques, devraient être l’amélioration de la santé moyenne de la population et la lutte contre les inégalités. C’est bien de traiter la bronchite récidivante d’un enfant, qui sera soulagé, mais si rien n’est fait sur son environnement nocif, cela coûte cher et c’est relativement inefficace. C’est bien de poser une prothèse de hanche après fracture, mais cela prend tout son sens si on améliore les conditions de vie du patient lui évitant de nouvelles chutes, tout en modifiant peut-être son alimentation et son environnement social. C’est dire que la prise en charge doit être globale et le médecin, qui doit être mieux sensibilisé aux déterminants sociaux, doit travailler en réseau et interpeller les décideurs politiques pour donner tout son sens à son intervention.

Pour cela, il est essentiel que les déterminants sociaux fassent partie de l’analyse rigoureuse de la situation de chaque patient, tout comme son histoire clinique, et qu’ils soient enseignés systématiquement dans les universités et les hôpitaux, où le modèle biomédical – souvent dispensé par des spécialistes qui ont une vision morcelée de la santé, peinent à penser le patient de manière holistique et se sentent impuissants face aux défis sociaux – est encore trop prégnant.

Mais encore faut-il penser la santé comme un droit pour tous et non comme un marché source de profit. Ce qui est loin d’être gagné!

* Membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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