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«Boycottez-nous!»

AU PIED DU MUR

La campagne internationale BDS (boycott-désinvestissement-sanctions) a pris un essor inattendu, et ses effets se font clairement sentir dans la société israélienne. Pour s’en convaincre, il suffit de réécouter le discours de Benjamin Netanyahou à l’Assemblée générale des Nations Unies: le premier ministre prend six minutes du temps qui lui est alloué pour tenter de nous convaincre que… BDS n’a strictement aucun effet sur l’économie ou encore sur le moral israéliens. Certes, nous n’en sommes pas encore à l’Afrique du Sud des années quatre-vingts, mais on progresse nettement dans cette direction.

Pourtant, même dans des milieux favorables à des sanctions contre Israël voire à des actions de boycott, on se heurte à une certaine réticence dès lors qu’il s’agit de boycott culturel ou académique. Il y aurait, selon eux, une exception culturelle, comme si le domaine de la culture était une zone neutre qui devrait être protégée du conflit et de ses effets. La culture et la recherche seraient, en quelque sorte, la Suisse du conflit colonial en Palestine/Israël.

Plusieurs arguments sont mis en avant pour justifier cette exception, en particulier le fait que les acteurs israéliens de la culture et la majorité des universitaires seraient des gens bien, souvent actifs dans le combat contre l’occupation et la colonisation: «Vous ne devez pas nous sanctionner, nous qui sommes – disent-ils – en première ligne du combat pour la paix.» Ces personnes feraient bien de relire les appels des militants sud-africains qui, du temps de l’apartheid, n’hésitaient pas à lancer cet appel: «Boycottez-nous! Nous sommes prêts à en payer le prix.»

En Israël ou ailleurs, le monde de la culture n’est pas une réalité hors-sol: il est souvent subventionné par l’Etat, et participe des valeurs de la société dans laquelle il évolue. Il doit, en outre, attirer le public et, pour ce faire, ne peut que rarement heurter celui-ci de front. Bref, il doit s’adapter pour survivre. C’est ce qui explique pourquoi le théâtre national Habima vient de décider de jouer dans la colonie de Kiryat Arba. Ce choix est clairement assumé par l’administration du théâtre: «[Notre] mission est de continuer à diffuser une culture de qualité à tous les citoyens d’Israël», affirme son directeur général. Et d’ajouter: «Nous rejetons avec indignation tout appel qui viserait à exclure des citoyens ou des localités, et dénonçons toute tentative de boycott culturel là ou habitent des citoyens israéliens.» Tous des citoyens, toutes des «localités israéliennes»: ce porte-parole des Israéliens qui se définissent comme éclairés a délibérément effacé d’un revers de main la Ligne verte et ce qui sépare Israël des territoires occupés.

Ce faisant, il confirme le bien-fondé de la position de la campagne BDS, qui se refuse à concéder une quelconque immunité aux institutions culturelles ou universitaires israéliennes. Comme institutions, elles participent au régime colonial, elles y collaborent – quelles que soient par ailleurs les opinions honorables et les positions politiques courageuses de nombre d’acteurs de la culture et de la recherche universitaire. A l’instar de leurs prédécesseurs sud-africains, à eux de demander, haut et fort, «boycottez-nous!»

* Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

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lundi 8 janvier 2018

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