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Le droit à des prestations sociales implique de ne pas travailler

La modification de la loi sur les bourses d’études récemment adoptée par le canton de Vaud décourage les étudiants boursiers à trouver des jobs d’appoint, déplore Pamela Jueni.
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Des p’tits sous, des p’tits sous, qui veut des p’tits sous?/Moi, moi!/Des p’tits sous, des p’tits sous, on veut des p’tits sous.
Saez – Des p’tits sous

Le 24 juin 2014, le Grand Conseil vaudois a adopté la modification de la loi sur les bourses d’études (LAEF)1 value="1">http://bit.ly/2emwwgG. Auparavant, la loi donnait la possibilité aux boursier-ère-s ayant le statut d’indépendant-e d’avoir un revenu complémentaire jusqu’à 7680 francs par année. La modification de la loi a supprimé cette clause. Désormais, notre droit à la bourse se base sur notre revenu déterminant unifié. Selon la définition sur le site vaud.ch: «Le RDU est un montant calculé sur la base du revenu et de la fortune, selon des modalités unifiées, permettant de déterminer l’octroi des prestations sociales et d’aide à la formation et au logement cantonales.» C’est-à-dire toutes les personnes recevant des prestations sociales de l’Etat. Autrement dit, ceux qui perçoivent le revenu d’insertion et les boursiers. Pour indication, les boursiers dans le canton de Vaud en 2014 représentaient 5883 personnes2 value="2">http://bit.ly/2dCt2nx. Et selon les statistiques de 2015, 12% étaient des boursiers ayant le statut d’indépendant comme moi. Quant aux personnes touchant le revenu d’insertion, elles étaient 16 701 en juin 2016.3 value="3">http://bit.ly/2endzG2 En définitive, nous sommes 22 584 personnes à toucher des prestations sociales dans le canton de Vaud.

En ce qui me concerne, mon revenu déterminant unifié a été fixé à 2248,33 francs par mois. En premier, il faut soustraire mon loyer de 600 francs (j’habite la campagne), la connexion internet 20 francs, le train 150 francs, abonnement mobile 50 francs, le chauffage 30 francs, l’électricité 10 francs, et ma cotisation AVS en tant qu’étudiante 39,80 francs, la taxe d’étude de l’année universitaire 83,66 francs, 210 francs pour manger à midi (à 13 francs par jour4 value="4">http://bit.ly/2emvqBH), 150 francs pour manger le soir et l’abonnement demi-tarif 13,75 francs. Finalement, ayant des assurances complémentaires de 30 francs par mois, il me reste 861,12 francs par mois pour vivre.

Comme je l’ai dit auparavant, toutes les personnes touchant des prestations sociales de l’Etat doivent déclarer leur revenu. Succinctement, tous mes revenus sont déduits de ma bourse. Donc un travail à 20% est synonyme de bénévolat et on me condamne à vivre avec les 861,12 francs par mois. Ceci force les personnes à ne pas travailler. C’est une aberration totale pour une société qui prône le travail. De plus, le fait de posséder un emploi donne accès à des prestations qui ne sont pas incluses dans le statut du «profiteur-se» des aides sociales de l’Etat telles que l’accès à une assurance-accidents sans franchise. Car lorsqu’on travaille à 20% on est couvert par notre employeur. Ainsi que l’accès à du matériel tel qu’ordinateur de prêt ou fournitures de bureaux. Et le plus important, le travail est synonyme d’identité dans notre société, la première question que l’on pose à une personne c’est: «Qu’est-ce que tu fais dans la vie?» La honte de dire que l’on est au chômage ou que l’on perçoit des prestations n’est souvent pas assumée par les individus concernés et ce statut les exclut de la société en les stigmatisant. C’est une spirale qui enfonce les personnes dans la désinsertion sociale et économique. Ils n’ont pas assez d’argent pour subvenir à leurs besoins, ils évitent leurs ami-e-s, leurs ancien-ne-s collègues ou ne se font pas soigner. Car comment fait-on si on a besoin d’aller consulter un médecin, un dentiste, un gynécologue, s’acheter une paire de lunettes, des habits, des chaussures, payer l’assurance de sa voiture ou si on a un accident? Qui va payer la franchise d’assurance fixée à 1000 francs? Par conséquent, si on permet à ces personnes d’avoir accès à un travail et en autorisant une marge de revenu au RDU, on casse la spirale de la désinsertion, on permet à des gens de vivre en-dessus de cette sorte de minimum vital mal calculé. Et finalement, dernier argument, l’Etat gagnerait en remplissant les caisses AVS, ce qui me semble être une de ses grandes préoccupations.

En conclusion, il est absolument nécessaire qu’au lieu de s’attaquer aux requérant-e-s d’asile, à la mendicité, aux boursier-ère-s, aux personnes qui reçoivent le revenu d’insertion, enfin fondamentalement aux minorités – car nous ne représentons que 4,39% de la population vaudoise –, on devrait plutôt aller regarder les comptes des entreprises multinationales qui profitent de forfaits fiscaux. Il faut arrêter avec cette chasse aux centimes chez les minorités et s’attaquer aux monstres tels que Nestlé, Monsanto, Novartis, ou encore Serono, qui ne payent pas leurs impôts à la hauteur de leurs profits.

Malheureusement, mon courrier ne sera qu’une goutte d’eau dans l’océan, mais peut être qu’il éveillera des sentiments chez les autres opprimé-e-s. Oui le mot est fort mais juste: opprimé-e-s, car comparés aux politicien-ne-s qui touchent des salaires à vie, nous ne sommes pas le trou dans le budget de l’Etat de Vaud. D’ailleurs la question que je me pose, c’est comment des politicien-ne-s qui gagnent plus de 8000 francs par mois peuvent décider de combien les «pauvres» ont besoin pour vivre? Peut-être que Bertolt ­Brecht avait raison: «Quand ceux qui luttent contre l’injustice sont vaincus/L’injustice passera-t-elle pour justice?/Nos défaites, voyez-vous,/Ne prouvent rien, sinon/Que nous sommes trop peu nombreux/A lutter contre l’infamie,/Et nous attendons de ceux qui regardent/Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.»

Notes[+]

* Etudiante en sciences sociales et philosophie à l’université de Lausanne.

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