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Travail forcé au Qatar: la FIFA bientôt jugée par les tribunaux suisses?

Chronique des droits humains

La Confédération syndicale des Pays-Bas (FNV) tient la FIFA pour responsable des exactions commises à l’encontre des travailleurs employés dans la construction des infrastructures destinées à accueillir la Coupe du monde de football de 2022, au Qatar.

Dans un courrier adressé au siège zurichois de l’association, la FNV donne trois semaines pour indemniser le dommage causé à Nadim Shariful Alam, un travailleur du Bangladesh qui a été exploité durant dix-huit mois sur les chantiers qataris et a vu son passeport confisqué avant d’être expulsé du pays. Des faits qui, en droit suisse, seraient constitutifs de traite d’être humain. Faute de reconnaissance de responsabilité par la FIFA, la question sera portée devant les tribunaux de Zurich, qui devront principalement se prononcer sur le lien de causalité entre l’octroi de l’organisation de la coupe du monde au Qatar et le dommage subi par le travailleur exploité.

Le cas de M. Shariful Alam n’est malheureusement pas isolé. De nombreuses associations, dont Amnesty International ou la Confédération syndicale internationale (CSI), ont régulièrement dénoncé le travail forcé qui affecte des milliers de travailleurs et travailleuses en provenance du Népal, d’Inde ou du Bangladesh. Des centaines d’entre eux sont morts sur les chantiers qataris, victimes des conditions de travail inhumaines et de l’absence de mesures de sécurité. Les travailleurs sont également soumis à la kafala, un système sous contrôle étatique, qui leur interdit de quitter le pays ou de changer d’emploi sans l’accord de l’employeur. Une réalité dramatique qui ne pouvait être ignorée par la FIFA lorsqu’elle a décidé de confier l’organisation du tournoi au Qatar. En faisant fi des conditions de travail et en omettant de demander une quelconque garantie à l’Etat organisateur, l’association suisse se serait ainsi rendue juridiquement responsable du dommage causé à de milliers de victimes de l’exploitation.

Si l’issue de la procédure civile est incertaine, la médiatisation de la démarche a permis de mettre au grand jour le lien étroit entre les décisions prises dans les métropoles helvétiques et les graves violations des droits humains des populations précarisées des pays du Sud, notamment dans le cadre de l’exploitation de leur travail. Le courage de M. Shariful Allam mérite également d’être souligné, compte tenu des pressions et des menaces dont font l’objet les travailleurs, ainsi que leurs familles, lorsqu’ils osent dénoncer publiquement et porter devant les tribunaux les agissements criminels des grandes entreprises.

Une démarche qui doit être mise en lien avec les déclarations de Simonetta Sommaruga au congrès d’Interpol, qui a eu lieu à Lugano la semaine passée. Devant les représentants des polices du monde entier, la ministre de la Justice a déclaré faire de la lutte contre la traite d’êtres humains l’une de ses priorités, notamment en appelant à une plus grande collaboration internationale. La démarche de M. Shariful Allam offre à la conseillère fédérale l’occasion de passer de la parole aux actes: il s’agira pour Mme Sommaruga d’investir la même énergie qu’elle consacre à faire la «chasse aux passeurs» sur la frontière tessinoise pour forcer la FIFA à suspendre toute collaboration avec les autorités du Qatar et cela tant que la kafala ne sera pas abolie et ne seront pas garanties des conditions de travail conformes à la dignité humaine.

* Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Pour aller plus loin: La Coupe est pleine! Les désastres économiques et sociaux des grands évènements sportifs, Editions du CETIM, Genève, 2013, 144 pp.

Opinions Chroniques Olivier Peter

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