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L’urgence d’un contrat social pour la santé

Roland Niedermann, médecin, plaide pour un système de santé bâti sur le droit humain à la santé «et non sur le ‘marché de la santé’», comme c’est le cas actuellement.
Suisse

Quiconque évoque la santé humaine est confronté au droit à la santé. En tant que citoyen, payeur de primes maladie, d’impôts et médecin, je constate que la FMH (Fédération de médecins suisses) et des personnes, à titre individuel, s’y réfèrent, mais pas la majorité des intervenants du système de santé, notamment les assureurs, le gouvernement, le parlement.

Le débat sur l’épidémie du tabac illustre la situation. L’appel de médecins «Pour que vos enfants ne deviennent pas nos patients»1 value="1">L’appel a été lancé en mars 2016 par des organisations de médecins à l’adresse des parlementaires fédéraux, www.bullmed.ch/docs/saez/2016/1213/fr/BMS-04565.pdf demande des mesures publiques efficaces en faveur de la santé contre les activités publiques, notamment publicitaires, de l’industrie du tabac. Ainsi ces médecins appliquent leur savoir et leur devoir: agir contre les causes des maladies, surtout si la cause est l’homme, à l’instar de l’industrie du tabac. Depuis Hippocrate, la médecine place la prévention avant les prestations et ne réduit pas le médecin à un prestataire de soins. Cet appel des médecins exprime leur respect de la donnée millénaire selon laquelle la santé n’est pas l’œuvre de l’homme et que les soins ne sont pas la santé. Cette hiérarchie place la santé originale avant les soins, le care. De cette hiérarchie innée naît le droit humain à la santé qui oblige la société à œuvrer pour un environnement compatible avec la santé.

Et que fait notre système de santé?

• «D’un côté, les maladies sont combattues, de l’autre côté il y a un intérêt économique à leur existence. Car les maladies et leurs traitements nourrissent ensemble un marché d’une croissance presque illimitée. Du point de vue économique, les maladies produisent de la prospérité. En dernier lieu, nous gagnons grâce à notre propre maladie…» (sic!) écrit le président de Promotion Santé Suisse. Il n’est pas le seul à formuler le concept du «malade lucratif»2 value="2">Lucratif: du latin lucrum: gain, profit, bénéfice, et du grec λεωα: butin, rapine, pillage. et sa logique marchande: davantage de maladies = davantage de prestations = davantage de croissance économique = davantage de prospérité. Cette prospérité vaut pour les prestataires et pour un système fondé sur des prestations, mais pas pour les malades, ni pour les payeurs de prime et jamais pour la science de la vie et la déontologie du médecin.

• Un géant du commerce de détail [Migros] possède des «centres de soins» [groupe Medbase], qui en font le plus grand prestataire dans la médecine de premier recours, fait de la publicité pour le tabac et vend des cigarettes [via ses filiales Denner et LeShop, entre autres]. La présence du «loup dans la bergerie» est légitimée par le Conseil fédéral. Il déclare que notre système de santé «permet effectivement à un acteur de l’industrie du tabac de posséder un établissement de soins».

• Au lieu de suivre l’appel cité et les impératifs du savoir et du devoir du médecin, le fleuron romand du «managed care» choisit une autre logique, il crée une union marchande avec le vendeur de mort tabagique [Philip Morris].

L’épidémie tabagique suisse provoque presque 10 000 morts par an. Elle fait partie de l’épidémie globale des maladies non transmissibles avec leurs 16 millions de morts prématurés. Aucune guerre n’a été aussi meurtrière. œuvres de l’homme, ces épidémies sont évitables. Elles exigent une autre réponse que des acteurs «santé» vendeurs de mort tabagique et le concept du «malade lucratif» qui sont la négation du droit humain à la santé, d’où la nécessité d’un contrat social santé.

Au centre du contrat social en matière de santé se trouve le droit humain à la santé. Ce droit élémentaire n’est ni reconnu ni porté par l’économie du marché, ses partisans politiques et leur idéologie néolibérale. Tant que le système de santé est largement inféodé à cette trinité, il est pervers, incapable de remplir ses missions. Car le fondement de cette trinité est la loi économique de faire de l’argent et de tirer du profit de la condition humaine, de la maladie et de la mort.

Sachant que face à la maladie et à la mort, nous sommes tous égaux, frères et sœurs, nous nous trouvons au même point que Jean-Jacques Rousseau par rapport aux esclaves, devenus lucratifs par le biais des lois esclavagistes. Face aux lois marchandes rendant la souffrance du prochain lucrative*, généraliser la ­déontologie médicale de la FMH est incontournable. La santé humaine du XIXe siècle exige que les intervenants, du médecin à l’assureur, du politique à l’aide-soignant, appliquent ce code. Le système de santé doit être dirigé par l’esprit du Serment de Genève et bâti sur le droit humain à la santé.
 

Notes[+]

*Médecin, Genève.
Références: www.lasantenestpasunemarchandise.ch

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