Chroniques

Musulmane athée!

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Athée!… d’origine musulmane! Jamais, je n’aurais pensé qu’un jour je sentirais le besoin de me présenter ainsi. Elevée dans une famille mixte, guère pratiquante, l’Islam était une abstraction. Aucune fête célébrée, aucune discussion sur le Coran, rien, si ce n’est l’interdiction durant toute mon enfance de manger du porc, à une époque où aucune cafétéria n’avait jamais entendu parler de cela. Par la suite, le conflit adolescent qui m’opposa à mes parents s’est incarné dans une forme de «désobéissance civile» au travers des sandwichs au salami ou des tranches de Jamón goulûment avalées chez mon amie d’enfance.

D’une famille socialiste je gardai l’engagement, mais optai pour les collectifs d’extrême gauche et les groupes féministes et, après une éducation totalement laïque, l’athéisme s’imposa comme une évidence. Jusqu’à récemment, jamais cette posture au monde ne m’a semblée devoir être reconsidérée, et je continue à penser le libre arbitre des humains comme valeur suprême. Pourtant, aujourd’hui, dans un contexte de haine exacerbée à l’encontre des musulman-ne-s, je me sens tenue d’affirmer mon identité d’«être frontalier», pour reprendre la notion développée par Amin Maalouf.

Pas un jour, depuis des mois, sans que le débat médiatique, les discussions de café, les prises de position politiques n’abordent la «question musulmane». Tout est prétexte à un discours souvent sans fondement: les minarets, la burka et, suprême absurdité, le burkini, qui a rempli les colonnes des journaux tout l’été. Bien sûr, quelques esprits éclairés ont tenté de montrer l’aberration de faire débat à partir de rien, mais en vain. Le débat sur le burkini a montré le point de non-retour que notre société a atteint. Tout est devenu prétexte à attaquer les musulman-ne-s et cette situation a quelque chose de terrifiant. En effet, nous assistons en direct à la construction d’une catégorie d’exclu-e-s, de parias, d’indésirables. Le phénomène se construit sous nos yeux chaque jour.

Les débats de cet été sur la tenue des femmes (burka ou burkini) rappellent à quel point ces dernières sont instrumentalisées, l’égalité manipulée au profit de messages intolérants et haineux. Dans nos sociétés qui, habitées par un retour du puritanisme, craignent d’afficher une scène de sexe dans leurs productions filmiques, jeter la pierre aux femmes qui souhaitent ne pas se dénuder à la plage est le comble de l’hypocrisie! Dans ces mêmes sociétés, qui parallèlement réifient les femmes comme autant de produits marketing dénudés afin de vendre n’importe quoi, nous laisser croire que la nudité est nécessairement signe d’émancipation est une vaste fumisterie!

Si, en tant que féministe, intellectuelle d’extrême gauche, athée convaincue, je ne me suis jamais réjouie de voir des jeunes femmes porter foulard, hijab, voile, tchador, je n’accepterai jamais que l’Etat légifère et les interdise. Il n’y a pas pire signe pour une société que d’empêcher les personnes d’être libres, même si cette liberté atteint certaines de nos valeurs. Interdire le port du foulard à l’école comme la loi française le fait, c’est bafouer un droit inaliénable: celui d’accéder à l’éducation, à la réflexion, à l’autonomie de pensée et de vie.

Dans ce contexte de mise en place d’une catégorie que beaucoup – y compris des élu-e-s socialistes, généralement moins prompt-e-s à véhiculer les messages xénophobes – participent à stigmatiser, il est temps de montrer sa solidarité. En cherchant à proposer une réflexion plus complexe, montrant comment sexisme et racisme s’articulent, comment on ne peut pas instrumentaliser l’égalité à des fins d’exclusion et de stigmatisation. Il s’agit également de montrer qu’il n’y a pas plus un groupe homogène de «musulman-ne-s» qu’il n’y aurait un groupe de protestant-e-s, de catholiques, de juifs et juives. Que, comme le dit Amin Maalouf dans Les identités meurtrières, il n’y «aurait [pas], d’un côté, une religion – chrétienne – destinée de tout temps à véhiculer modernisme, liberté, tolérance et démocratie et, de l’autre, une religion – musulmane – vouée dès l’origine au despotisme et à l’obscurantisme». Que partout, il y a des personnes dont la foi n’est qu’un mode de vie, un élément culturel, familial, social, pendant que d’autres ont des positions ultras, qu’il s’agit de combattre.

Face à l’intolérance, à l’incompréhension et, osons le dire, à la bêtise ambiante, je me sens sommée de choisir mon camp. Je décide donc d’affirmer mes diverses appartenances, afin de créer des passerelles et m’opposer à toute forme d’obscurantisme d’où qu’il vienne. I

* Investigatrice en études genre. Cette chronique, rédigée à une seule plume, a un ton plus personnel que nos habituels écrits. Comme nous l’avions imaginé initialement, le duo se donne la liberté de parfois se séparer le temps d’une chronique.

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