Agora

L’attirance du fascisme russe

Dan Gallin déplore la publication de la chronique de Guy Mettan «Ukraine, deux ans après» dans Le Courrier du 30 août dernier.
Réaction

L’URSS stalinienne disparue en 1991 et la Russie poutinienne d’aujourd’hui ont beaucoup de points communs, et aussi, évidemment, des différences. Une différence essentielle est la structure économique: l’URSS était dirigée par une bureaucratie qui collectivement contrôlait l’Etat et, par conséquent, l’économie étatisée. La Russie poutinienne est dirigée par la même bureaucratie, recyclée en classe dirigeante capitaliste oligarchique et mafieuse.

La bureaucratie maintenait son pouvoir en URSS et dans les pays du bloc soviétique par la terreur policière – le KGB – et par l’occupation militaire, aussi longtemps que c’était possible. Dans la Russie poutinienne, le pouvoir, exercé par les anciens du KGB, les siloviki, est maintenu de façon plus sournoise. Les opposants sont assassinés impunément, emprisonnés ou forcés à s’exiler. Leurs organisations sont marginalisées, brimées, réprimées, une à une.

L’URSS et la Russie actuelle ont des idéologies différentes. L’URSS tirait sa légitimité d’une révolution socialiste, alors même que ses dirigeants avaient tout fait pour détruire son contenu politique, y compris en exterminant les révolutionnaires qui l’avaient faite. L’idéologie de la Russie poutinienne est faite de fascisme (Ivan Ilyin), fantasmes eurasiens (Alexandre Douguine), de chauvinisme grand russe et de panslavisme, assorti de racisme et d’antisémitisme, d’exaltation d’un cléricalisme obscurantiste. Cette idéologie de bric et de broc a un fil rouge: la mobilisation de tous les mythes et légendes réactionnaires pour asseoir la légitimité d’un régime autoritaire et de son chef.

Il n’est pas surprenant que Poutine, qui a déjà beaucoup d’amis dans l’extrême-droite européenne (Marine Le Pen, Geert Wilders, Viktor Orban, etc., chez nous Köppel et Freysinger) a depuis quelques mois un nouvel ami: Donald Trump, candidat d’extrême-droite à la présidence américaine qui dit que l’OTAN n’a pas d’importance, et que si Poutine voulait se prendre les Pays baltes, en tant que président américain, il ne se verrait pas forcément obligé d’intervenir.

Ce que l’URSS et la Russie de Poutine ont en commun, c’est un vaste réseau de propagande chargé de répandre les mensonges et affabulations du régime, et de discréditer ses opposants. Le réseau international dont disposait l’URSS, c’étaient les partis communistes. Le poutinisme a mis en place un réseau de désinformation organisée relayée par des individus achetés ou volontaires. Aux Etats-Unis, le journaliste Robert Parry, cité par Guy Mettan comme «observateur avisé» («Ukraine, deux ans après», Le Courrier du 30 août 2016) est une pièce maîtresse de ce réseau.

C’est ainsi qu’on apprend qu’en Ukraine les nazis sont au pouvoir, que la révolution du Maidan était une conspiration américaine, que la Russie n’est pour rien dans la guerre entre les séparatistes dans l’Est de l’Ukraine et l’Etat ukrainien, que l’annexion de la Crimée s’est faite toute seule par la volonté de ses habitants, que l’avion MH17 a été abattu par les Ukrainiens (un chasseur? un missile? qui sait?), etc. etc.

Curieusement, aucun des partis fascistes ou d’extrême-droite en Europe ou ailleurs n’a manifesté la moindre solidarité avec «l’Ukraine fasciste» de la propagande poutinienne. Tous, sans exception, soutiennent Poutine. Il faut croire qu’ils sont incapables de reconnaître où se trouvent les vrais fascistes.

Le Comité pour la Protection des Journalistes inclut la Russie dans les dix premières nations où les journalistes sont assassinés impunément.

Qu’en pense le Club suisse de la Presse?

La liberté de parole est une valeur sacrée. Chacun doit être libre de s’exprimer, y compris de raconter des insanités, et elle couvre aussi les mensonges d’Etat. Par contre, un journal d’opinion se doit d’avoir une politique, et n’est pas obligé de d’accueillir et de diffuser n’importe quoi. Sa responsabilité vis-à-vis de ses lecteurs est de veiller, au minimum, à ce que l’information soit propre.

Réponse de la rédaction: La liberté de parole est effectivement une valeur cruciale, puisqu’elle conditionne l’existence du débat démocratique. C’est à ce titre que Le Courrier accueille les chroniques de Guy Mettan. Dans ce cadre, ce dernier défend un avis qui va parfois à l’encontre d’une vision dominante de l’actualité, et qui ne reflète pas forcément les avis de la rédaction. La diversité des opinions participe aussi à la qualité des informations.

* Président du Global Labour Institute (GLI), Genève.

Opinions Agora Dan Gallin Réaction

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