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La paix impossible avec le régime Assad

Thawra!

La trêve en Syrie conclue le 9 septembre entre les Etats Unis et la Russie s’est terminée le 19 septembre à 19h sur un échec total, que ce soit en termes politiques, militaires ou humanitaires. Les affrontements avaient déjà repris de manière violente quelques jours avant la fin officielle de la trêve, tandis que l’acheminement d’aide humanitaire aux villes assiégées s’est fait au compte-gouttes, quand il a eu lieu. La guerre du régime Assad et de ses alliés contre la population syrienne a donc repris de plus belle. Elle s’est même intensifiée depuis maintenant plus d’une semaine contre les quartiers libérés d’Alep – qui n’étaient plus sous domination du régime Assad, ni des groupes djihadistes comme Daech ou Fateh al-Sham (ex Jabhat al-Nusra) – à nouveau assiégés. La poursuite de la guerre par le régime Assad et ses alliés russes, iraniens, du Hezbollah et autres milices confessionnelles contre le peuple syrien rend en l’occurrence impossible tout retour à la paix dans les conditions actuelles.

Tout d’abord, dans la nuit du 19 au 20 septembre, juste après la fin de la trêve, au moins 36 civils ont péri à Alep et sa région lors de raids aériens russes et du régime Assad, tandis que des bombardements des aviations russe et syrienne ont tué au moins une vingtaine de civils, dont un employé du Croissant-Rouge syrien, et endommagé au moins 18 camions d’aide humanitaire. Ces camions faisaient partie d’un convoi de 31 véhicules de l’ONU et du Croissant-Rouge qui livrait de l’aide à 780 00 personnes à Urem al-Kubra, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest d’Alep. Depuis, les violences se poursuivent dans la province. Plus de 600 civils, dont 80 enfants, sont morts sous les bombes et 1600 ont été blessés. Les quelques hôpitaux de fortune encore debout à Alep-Est sont complètement débordés par le nombre de blessés et manquent de tout.

En même temps le quartier assiégé de Waer, à Homs, dernier bastion de la ville contrôlé par l’opposition et où habitent encore environ 60 000 personnes, est en train de subir le même sort que la ville de Daraya il y a quelques semaines. Un accord a été conclu avec le régime pour transférer une partie des habitants et des combattants dans la région d’Idlib, aux mains des groupes fondamentalistes Fateh al-Sham et Ahrar Sham. Le régime Assad a employé à plusieurs reprises cette stratégie des accords locaux avec des villes ou des quartiers assiégés pour forcer les populations locales opposées au régime à quitter leurs foyers pour rejoindre des zones sous contrôle de l’opposition. Ces régions subissent des bombardements du régime et manquent de moyens pour recevoir les nouveaux arrivants, sans parler des pressions parfois imposées par les mouvements islamiques fondamentalistes, comme c’est le cas à Idlib.

Au niveau politique, cette trêve était problématique, pour ne pas dire sans avenir, car elle ne traitait pas de la source du problème en Syrie: le régime Assad. L’accord prévoyait une plus grande coordination entre la Russie et les Etats-Unis dans la «guerre contre le terrorisme» en Syrie, visant les groupes djihadistes de l’Etat Islamique et de Fateh al-Sham, mais sans dénoncer les interventions iraniennes du Hezbollah et autres milices fondamentalistes chiites au côté du régime Assad et sans mentionner une transition politique vers un système démocratique et le départ du dictateur Assad. C’est pourquoi cet accord a été refusé par de larges sections de l’opposition démocratique, armée et pacifique.

Le problème des Etats occidentaux, voire de certains bastions de gauche, dans leur politique dite «réaliste», est de penser qu’on peut réussir à se débarrasser de Daech et de ses semblables, considérés comme ennemis principaux en Syrie et ailleurs, avec les mêmes éléments qui ont nourri leur développement: soit l’appui au maintien de régimes ou groupes autoritaires et confessionnels, le soutien apporté à des politiques néolibérales et des interventions militaires…

Or il ne suffit pas de mettre fin militairement aux capacités de nuisance de Daech et consorts, au risque de les voir réapparaître à l’avenir comme ce fut le cas dans le passé, il s’agit de s’attaquer aux conditions politiques et socio-économiques qui ont permis leur développement. Il faut se rappeler que Daesh, élément fondamental de la contre-révolution, a connu une avancée sans précédent à la suite de l’écrasement des mouvements populaires, en se nourrissant de la répression massive perpétrée par les régimes autoritaires d’Assad et consorts et en attisant les haines religieuses.

L’interventionnisme des États régionaux et internationaux, conjugué aux politiques néolibérales qui appauvrissent les classes populaires et à la répression des forces démocratiques et syndicales, ont grandement contribué, et contribuent toujours, au développement de Daesh. Il s’agit de lutter contre ces éléments, tout en soutenant les mouvements populaires démocratiques et non confessionnels qui, malgré des reculs importants, se poursuivent à travers la région, défiant à la fois les régimes autoritaires et les organisations fondamentalistes religieuses. C’est le seul moyen d’éviter des erreurs du passé: la paix, ou une nouvelle Syrie, ne sont pas possibles avec Assad et ses colistiers.

 

* Universitaire et militant de solidaritéS, auteur de Hezbollah, the Political Economy of the Party of God, ed. Pluto Press, à paraître le 20 octobre 2016,
www.press.uchicago.edu/books.html

Opinions Chroniques Joseph Daher

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