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Le mensonge, sport démocratique!

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A la fin des années 1940, J.H. Gleason, professeur d’histoire à Harvard qui s’alarmait des ravages potentiels de la guerre froide, faisait remarquer que les démocraties étaient encore davantage portées sur le mensonge que les dictatures. Pour une raison simple: elles doivent convaincre une opinion publique souvent rétive que les guerres qu’elles veulent mener sont justifiées. Ce que les dictatures, par définition, peuvent s’épargner.

De la permanence et de l’intensité de ce mensonge «démocratique», on en a eu la preuve avec la fabrication par les services secrets américains des prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003. Voyez aussi les documents du parlement britannique qui viennent de révéler comment Tony Blair avait manipulé les députés en 2003 pour les entrainer dans cette même guerre. On pourrait en dire autant de l’invasion de l’Afghanistan en 2001, à la suite des attentats du 11-Septembre, maintenant que les documents sur leurs auteurs ont été déclassifiés par le Congrès et font apparaitre que les Saoudiens ont bien plus soutenu Al Qaida que les Afghans. Mais à l’époque, pour des raisons stratégiques, il était bien plus important d’envahir l’Afghanistan pour y installer l’OTAN que de chercher des noises au précieux allié saoudien. Quant à la façon dont le président Sarkozy (et ses alliés européens) a grossi le danger du régime Kadhafi pour l’éliminer dans l’espoir de faire main basse sur son pétrole et de faire monter sa cote auprès des électeurs avant la présidentielle de 2012, ici aussi, les documents sont explicites.

«Si tu veux la guerre, prépare-toi à mentir», semble être désormais devenu le mantra des dirigeants démocratiques occidentaux. Comment s’étonner dès lors que l’estime de nos dirigeants soit en chute libre dans les opinions publiques et que celles-ci se précipitent dans les bras des «populistes» qui, eux au moins, ont la tête de leurs idées?

Le problème est que le mensonge, procédé facile et peu coûteux, s’étend partout comme une gangrène. Comme la corruption, il pénètre tous les arcanes du pouvoir, surtout quand il est complaisamment relayé par des médias qui ont renoncé à questionner la politique des dirigeants pour concentrer ce qui leur reste de venin sur leur seule personnalité ou leurs «petites phrases».

Cette perversion éthique s’est généralisée à tous les niveaux de la société, au point de devenir alarmante. Prenez le cas du sport. Cet été, nous avons eu affaire à la dénonciation à grand fracas du «dopage d’État russe». Fort bien. On applaudit très fort. Mais que penser de l’intégrité des instances du sport quand on apprend qu’elles ont délivré des «autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT)» de produits considérés comme dopants à des centaines d’athlètes européens et américains? C’est fou ce qu’ils sont malades, ces chers athlètes! Tous ces grands noms du sport qu’il faut soigner à coups d’AUT, c’est bien malheureux! Et pas question de les déprimer davantage en les privant de JO, ce serait trop cruel!

Plus grave, même la lutte contre le terrorisme est viciée par le mensonge. Lors de l’attentat de fin juin dernier qui a fait 44 morts à Istanbul, il est apparu que le cerveau de l’affaire était un terroriste tchétchène nommé Akhmed Tchataïev recherché depuis quinze ans pour ses crimes commis en Russie. Mais qui, dans la presse, s’est insurgé parce que ce même terroriste avait reçu l’asile politique en Autriche grâce au soutien des ONG, et été remis en liberté après chacune de ses arrestations par les différentes polices européennes? Chaque fois, son extradition avait été refusée. Faudra-t-il qu’il sème la désolation en France pour qu’on s’avise de le mettre hors d’état de nuire?

Et que dire du poker menteur qui a coulé la dernière trêve en Syrie. Voici dix jours, la coalition américaine bombardait «par erreur» des soldats syriens et en massacrait une centaine. Trois jours après, dans la plus grande confusion, une colonne de camions de secours était à son tour réduite en poussière au prix de 12 morts. La presse, avare de paroles pour la mort des soldats, en a alors fait ses gros titres. On aurait voulu détourner l’attention du premier massacre et faire porter le chapeau de la reprise des combats au camp d’en face qu’on ne s’y serait pas pris autrement!

Vous voyez de la malice partout, me direz-vous. Oui, assurément. Et c’est très préoccupant. Mais comment faire pour que les opinons publiques et les médias sortent de leur léthargie?

* Directeur du Club suisse de la presse.

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lundi 8 janvier 2018

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