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Retour de la misère de nos vieux jours?

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Avant la mise en place de l’AVS en 1948, seuls une partie des travailleurs et travailleuses avaient droit à une rente de vieillesse, les autres devaient économiser pour leurs vieux jours. Ce système avait le défaut de ne pas garantir une retraite universelle et sa première conséquence était la misère chez les personnes âgées. Ce thème a été largement mis en avant par les syndicats et la gauche lors du référendum de 1947 sur l’AVS. C’est sans doute la raison pour laquelle l’avènement de cette dernière a été vu à l’époque comme «l’événement du siècle», même si, en fait, l’AVS d’alors ne correspondait qu’à 10% d’un salaire moyen. Il faut attendre presque trente ans pour que la 8e révision augmente la rente et arrive à 35% du revenu moyen en 1975. Depuis, l’AVS n’a pas connu d’augmentation, à part l’indexation mixte calculée sur le coût de la vie et la progression des salaires.

Si les rentes représentent des sommes modestes pour les bénéficiaires, le débat sur les retraites met en jeu des intérêts financiers considérables, car l’AVS n’est que le «premier pilier» d’un système qui en compte trois. Pour les assureurs et les banques, le deuxième pilier constitue une manne gigantesque. Elle s’élève à 750 milliards de francs, soit 130% du produit intérieur brut du pays, en 2012, un peu moins de vingt ans après l’introduction de la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) en 1985. Cet argent est géré par les assurances, placé dans l’immobilier et confié à des banques ou des entreprises de conseils financiers. Il représente un énorme capital disponible pour des investissements, en même temps qu’un marché financier très important pour les assureurs.

Ces derniers ont d’ailleurs compris très tôt le profit qu’ils pouvaient tirer d’un système de retraite par capitalisation des cotisations. Dans le film Caisses de pension, un gâteau au goût amer, l’historien Matthieu Leimgruber revient sur la position des assureurs quelques jours après l’approbation en votation populaire du système des trois piliers en 1972. Il cite un document de l’Association suisse d’assurances qui affirmait alors: «Une concurrence honnête doit prévaloir entre assureurs-vie ainsi qu’avec les caisses de pensions autonomes et les banques. Il faut éviter de se déchirer les uns les autres. De toute façon, il y en aura pour tout le monde.» Ils considéraient alors que la masse d’argent qu’ils allaient se partager serait tellement énorme qu’il n’était pas vraiment utile de se disputer.

Depuis, chaque proposition visant à consolider l’AVS ou à faire progresser son poids dans les rentes touchées par les aîné-e-s est âprement combattue par le secteur des assurances et la droite en général, car c’est bien ce magot qui est défendu bec et ongles. De leur côté, les assuré-e-s ont montré qu’ils et elles perçoivent les limites du système, notamment en refusant l’abaissement du taux de conversion du deuxième pilier en 2010. Mais jusqu’à quand sera-t-il encore possible de résister? Le deuxième pilier est le produit des années 1970, une époque où les taux d’intérêts se situaient au-dessus de 5%. En 1985, ils s’élevaient à 5,5%, contre 0 à 1% aujourd’hui, alors que la Banque nationale fait payer un intérêt négatif aux banques.

Pourtant, c’est toujours le financement de l’AVS, et non celui du deuxième pilier, qui est présenté comme fragile et problématique. Depuis les années 1990, on nous prédit un déficit catastrophique de l’AVS, argument sur lequel s’appuient les projets de révision visant à diminuer les rentes et à faire travailler les gens jusqu’à un âge plus avancé. Mais ces pronostics ne se sont pas réalisés… Les mêmes arguments sont présentés aujourd’hui contre l’initiative AVS plus. La question posée dans les colonnes du Courrier du 9 septembre est tout à fait pertinente et augure un retour en arrière hautement problématique: alors que tout le monde ne bénéficie pas d’une rente de deuxième pilier importante, les femmes en particulier, qui pourra encore vivre ces prochaines années avec sa seule rente AVS? Ne sommes-nous pas en train de revenir en arrière vers une précarité (organisée) de nos aîné-e-s? La prévoyance vieillesse (re)deviendra-t-elle une affaire personnelle? Que feront celles et ceux qui n’auront pas les moyens d’économiser l’argent de leurs vieux jours?

* Historienne.

Voir: www.histoiredelasecuritesociale.ch et l’émission Temps Présent «Caisses de pension, un gâteau au goût amer»: www.rts.ch/emissions/temps-present/economie/4806274-caisses-de-pension-un-gateau-au-gout-amer.html

Opinions Chroniques Alix Heiniger

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lundi 15 janvier 2018

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