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Quid de la tromperie de VW et des autres constructeurs?

Un an après le scandale Volkswagen et des moteurs Diesel truqués, Marc Ribeaud, spécialiste de ces questions, s’interroge sur les dessous de l’affaire: basse escroquerie ou manipulation politico-scientifique d’envergure?
Pollution

Si les constructeurs de voitures ont pu tricher pendant des années, c’est peut-être parce que le terrain avait été préparé. Dès la fin des années 1990, les professionnels chargés d’établir et de mettre en œuvre les normes d’émission des moteurs ont lu les nombreux rapports techniques publiés notamment dans le journal de référence en la matière, la SAE (Society of American Engineers), par MTZ (Motoren Technik Zeitschrift) et aussi par le Département de l’énergie des États-Unis. Ils ont pu se convaincre que le moteur Diesel, muni de systèmes de dépollution efficaces, permettrait de diminuer considérablement la pollution générée par le trafic routier (voitures et camions).

Tant les expériences de laboratoire que les essais sur banc et sur route indiquaient que l’on peut filtrer toutes les particules, quelle que soit leur dimension, et réduire les polluants agressifs, tels que les oxydes d’azote, émis par les moteurs Diesel. Ainsi, ce type de moteur, qui grâce à sa pression plus élevée consomme moins de carburant que les moteurs à essence, a pu passer pour la solution transitoire de moindre mal en attendant le passage au tout électrique. Même aux États-Unis, traditionnellement méfiants à l’égard du Diesel, le Département de l’énergie, sous la plume de J.J. Eberhardt, publiait en 2000 un rapport, «The Diesel Paradox: Why dieselization will lead to cleaner air», qui préconisait cette approche. Des travaux menés en Suisse (EMPA Dübendorf, PSI) confirmaient les avantages de cette technologie. L’EMPA a notamment publié des données qui montrent que les moteurs Diesel munis de filtres sont, quant aux particules émises, nettement plus propres que certains moteurs à essence modernes à injection directe.

Or, depuis un an, nous savons que les véhicules mis en circulation démentent ces perspectives optimistes, pourquoi?

S’agit-il d’une escroquerie de quelques sous sur chaque véhicule, une pratique bien dans l’esprit du temps, ou d’une manipulation en profondeur et de grande ampleur préparée de longue date? En d’autres termes, soit la technologie est disponible mais les producteurs on cru que, puisqu’ils avaient convaincu le public par une publicité efficace des progrès réalisés, on pouvait se passer de l’appliquer – le public étant convaincu, que veut-on de plus?

Ou alors non seulement les moteurs, mais la communauté des techniciens et les politiciens chargés de réguler cette branche auraient été manipulés par des rapports orientés dès l’origine par les laboratoires qui sélectionnaient les protocoles d’essais favorables afin de produire des résultats plus prometteurs que ceux de la concurrence qui à son tour bricolait de nouveaux rapports? Un cercle pernicieux que personne n’osait ou ne pouvait briser. Comme dans le Tour de France, où chaque coureur sait qu’il n’a aucune chance s’il ne fait pas comme les autres, se doper, les producteurs d’automobiles et leurs mandataires ont arrangé les choses en produisant des rapports «scientifiques» disant ce que tant le public que les politiciens souhaitaient entendre. Réalité et messages publicitaires ont allègrement divergé jusqu’à ce qu’un laboratoire américain mette le doigt sur l’arnaque.

La dépollution des suies fines et ultrafines par filtration est très certainement faisable et la désulfuration est effective. On ose espérer que les autorités de surveillance suivront de près toutes les émissions des moteurs révisés, les oxydes d’azote notamment, ainsi que leur consommation. Pour autant que le groupe de travail du Parlement européen fasse correctement son travail, on finira par connaître la vérité.

* Dr EPFZ, Delémont, membre de l’ATC (Technical Committee of Petroleum Additive Manufacturers in Europe) de 1990 à 2007.

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