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Interdits de vote

Faute de papiers d’identité en règle, trois millions de citoyens russes sans-abri ne pourront pas élire leur représentants parlementaires lors des législatives russes du 18 septembre.
Russie

Le 18 septembre, les citoyens russes éliront leurs nouveaux députés à la Douma, la chambre basse du parlement. Tous les citoyens? Non. Près de trois millions de Russes sont privés d’accès aux urnes. Souvent contre leur gré, ces personnes ne peuvent remplir leur devoir citoyen, faute de papiers d’identité en règle. Rappelons qu’en Russie, pour être un citoyen à part entière, il faut posséder dans son passeport intérieur un tampon administratif nommé «propiska».

Cet enregistrement s’effectue lorsqu’une personne immatricule son lieu de résidence. Si vous perdez votre lieu de résidence, quelles qu’en soient les raisons, adieu la propiska. Et sans propiska, il est impossible de chercher un appartement, de trouver du travail, de voyager à l’intérieur du pays, d’exiger que vos droits de citoyen soient reconnus, tels que le droit d’avoir un toit, un travail, un passeport intérieur, d’accéder à l’aide sociale, aux soins, aux tribunaux et de voter. Ceci en dépit du fait que la constitution de la Fédération de Russie garantit formellement à toute personne majeure de nationalité russe l’accès au vote.

Pour l’association pétersbourgeoise Nochlezhka qui, depuis 1991, défend les droits bafoués des sans-papiers russes, il ne peut en être ainsi. Son président Grigori Sverdlin s’explique: «La constitution en main, nous avons décidé d’interpeler certains politiciens de Saint-Pétersbourg, leur demander qu’ils interviennent urgemment afin que toutes les citoyennes et citoyens russes sans propiska puissent voter. Nous ne sommes pas dupes, nous savons que ces sans-papiers ne représentent aucun intérêt pour les politiciens. Autrement, cela fait belle lurette qu’ils auraient empoigné le problème et proposé de réelles solutions à ce casse-tête kafkaïen, qui se résume à: pas de papier, pas d’existence.» M. Sverdlin rappelle qu’à Saint-Pétersbourg, ils sont plus de 60 000 sans-papiers dépourvus de droits, qui survivent péniblement dans la rue.

Mais les préoccupations du pouvoir sont toutes autres. Prévues pour décembre 2016, les élections parlementaires ont été exceptionnellement avancées au 18 septembre, soit le même jour que les votations locales et municipales, organisées traditionnellement le deuxième dimanche de septembre. Le but avoué de cette accélération du calendrier est de faire voter le prochain budget national par la nouvelle assemblée fraîchement élue.

D’autres raisons expliquent le nouvel agenda électoral. En 2011, les élections ont été marquées par de très nombreuses accusations de fraudes, d’importantes manifestations ont éclaté après l’annonce des résultats et, pour l’opposition, le slogan « Russie unie, le parti des escrocs et des voleurs» résumait bien cette joute électorale.

Pour Vladimir Poutine, pas question, cette fois-ci, d’encourir l’opprobre populaire, d’autant que le contexte économique n’est pas favorable du fait, entre autres, des sanctions imposées par l’Union européenne en réaction à l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et de la chute du prix des hydrocarbures. Il faut que son parti Russie Unie et ses alliés de la Douma, aujourd’hui majoritaires, conservent, après le 18 septembre, leur hégémonie et que les parlementaires fraichement élus continuent d’approuver, sans trop broncher, les décisions du maître du Kremlin. Il faut aussi que Vladimir Poutine ait les coudées franches dans sa gestion des dossiers géopolitiques – Syrie, Ukraine – sans être perturbé par des problèmes intérieurs.

Dans ce contexte, un fait est certain: le sans-abrisme russe, malgré ses importants impacts sociaux, ne constituera pas, cette fois encore, un thème de campagne.

*  Nochlezhka Suisse Solidaire. L’association soutient l’ONG russe Nochlezhka qui vient en aide aux sans-papiers sans-abris, www.suissesolidaire.org

Opinions Agora Pierre Jaccard Russie

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