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Le burkini vu des plages israéliennes

AU PIED DU MUR

Hors des frontières de l’Hexagone, on peine à comprendre ce qu’on appelle déjà l’affaire du burkini, cette interdiction promulguée par plusieurs municipalités françaises – et soutenue par le premier ministre Valls – de porter sur les plages une tenue de bain qui cache une grande partie du corps féminin. Monokini ou string ne posent pas de problèmes à ces maires vertueux, mais le burkini les scandalise.

En Israël, les médias s’interrogent sur cette décision, et pourtant, comme chacun le sait, l’État hébreu est loin d’être un modèle de démocratie et d’égalité entre les groupes ethniques: la discrimination y est structurelle, institutionnalisée, constitutionnelle même. Cependant, jamais n’a été édicté de loi ou de décret qui interdise telle ou telle tenue vestimentaire à telle ou telle partie de la population. Dans l’espace public, on rencontre de nombreuses femmes couvertes, juives ou arabes, parfois même de la burka… qui commence également à avoir ses adeptes dans quelques nouvelles sectes juives.

Moi même, j’ai vécu mes quinze premières années en France, et, comme juif pratiquant, j’ai toujours porté la kippa dans l’espace public, dans la rue, au marché, au stade de la Meinau à Strasbourg… et sur la tribune d’honneur des revues militaires du 14 juillet et du 11 novembre, où je me trouvais, au côté de mon père, Grand Rabbin de la ville. M’aurait-on interdit de pratiquer ma foi à ma manière (tant que je ne porte pas atteinte à la liberté des autres) que je serais entré en dissidence, sûr d’être soutenu par une partie importante de l’opinion publique et par mes amis non juifs.

Si pour Manuel Valls, mais aussi pour une pionnière féministe comme Elisabeth Badinter, la République est menacée par la tenue vestimentaire de certaines femmes, c’est qu’elle est gravement malade, et je doute que s’en prendre au burkini ou au foulard soit un remède efficace. Je suggérerais plutôt un travail approfondi de réflexion sur l’histoire coloniale de la France et ses effets, encore présents, sur la culture et l’idéologie françaises. Ou encore un retour sur la stigmatisation des Juifs de France, déchus de leur citoyenneté, forcés à porter l’étoile jaune avant d’être parqués à Drancy puis déportés dans les camps d’extermination nazis. On n’en est pas là, fort heureusement, mais les comportements racistes et l’ostracisme ont leur dynamique propre, et quand on commence avec un groupe, on ne sait pas ou cela peut s’arrêter.

En tant qu’Israélien, je crains que cette initiative française n’inspire une fois de plus certains de nos dirigeants. Une fois de plus, car nous avons un précédent récent: c’est explicitement sous l’inspiration de la France que la Knesset a adopté il y a deux ans une loi qui criminalise l’appel à des sanctions (BDS) contre l’État d’Israël. Qui dit que le rôle exemplaire de la France appartient au passé? Manuel Valls et Nicolas Sarkozy peuvent se rassurer, la République française a encore un rôle civilisateur à jouer et son rayonnement est encore d’actualité, au moins pour des pays progressistes comme Israël, l’Arabie saoudite ou encore, comme le suggérait l’ineffable Michèle Alliot-Marie, la Tunisie de Ben Ali…

Soyons sérieux: le régime de Vichy et les crimes de la colonisation ne sont pas de l’histoire ancienne, et il est légitime d’exiger des dirigeants de la République et de ceux et celles qui les soutiennent dans leurs initiatives «civilisatrices» qu’ils se reprennent en main, ne serait-ce que par pragmatisme politicien: l’électorat préfère toujours l’original à la copie, et dans les politiques de stigmatisation racistes, le Front national sera toujours meilleur que ceux qui essaient de gagner des voix en reprenant ses valeurs et ses propositions nauséabondes.

* Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

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