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Échanger et conserver ses semences, un crime?

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Loin des regards, dans la plus complète opacité, des méga-accords commerciaux poursuivent la privatisation des semences du monde et de la biodiversité. Comment expliquer qu’en notre nom, sans que cela n’émeuve grand-monde, le bien commun de l’humanité soit bradé aux géants de l’industrie des semences et des biotechnologies; et ce, au détriment des droits les plus élémentaires de celles et ceux qui nourrissent l’humanité en améliorant et en transmettant ces semences depuis la nuit des temps?

Le nouveau rapport de GRAIN, publié au cœur de l’été, fait froid dans le dos, malgré la canicule. L’organisation internationale, basée à Barcelone, y décrit comment les semences paysannes sont criminalisées; et leur vol, organisé par les multinationales, légalisé grâce à des accords commerciaux dont les principaux bénéficiaires sont les géants de l’agrochimie, tels que Monsanto, Syngenta, Dow, Pioneer. Cette batterie d’accords, de conventions, de lois, visant à légitimer le véritable hold-up de sociétés privées sur le bien commun de l’humanité, sont négociés dans un total manque de transparence, au nez et à la barbe des citoyens que nous sommes.

Nous serions en tout cas bien inspirés de nous préoccuper davantage du monde qui est en train de se mettre en place, et vise à rendre illégal, pour les agriculteurs, le simple fait de conserver, échanger ou modifier des semences déclarées «protégées».Ce qui relève d’une terrible injustice puisque, selon GRAIN, «les entreprises prennent les semences dans les champs des agriculteurs, les bricolent un peu et revendiquent ensuite des droits de propriété sur ces ‘nouvelles’ variétés». L’Union européenne, les États-Unis, le Japon, l’Australie, qui abritent la plupart des grands semenciers, exercent d’ailleurs une forte pression dans ce sens sur leurs partenaires commerciaux.

Actuellement, l’une des menaces les plus importantes pour la maîtrise des petits agriculteurs sur leurs semences est le Partenariat transpacifique (TPP), qui regroupe les États-Unis, le Canada, l’Australie, le Japon, la Malaisie, le Chili, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. Cet accord permet notamment aux investisseurs étrangers de poursuivre des gouvernements devant des tribunaux internationaux si ces gouvernements mettent en place des réglementations, y compris semencières, qui désavantageraient les intérêts de leurs entreprises.

Signé en février 2016, les pays membres du TPP sont désormais tenus de modifier leurs lois sur les semences avec, à la clé, une possibilité réduite pour les agriculteurs de conserver leurs graines; et encore davantage la possibilité, pour les entreprises, de faire valoir des normes de propriété intellectuelle. Parmi les pays qui l’ont signé, figure la Malaisie, où des organisations telles que l’Association des consommateurs de Penang font pression sur le gouvernement pour qu’il protège les droits des agriculteurs à reproduire les semences, au lieu de les racheter chaque année au prix fort à des multinationales. Au Chili, les mouvements sociaux se battent également contre la poursuite de la privatisation des semences prévue dans le cadre du TPP. Au cours de ces dernières années, des étudiants, des agriculteurs et des consommateurs ont réussi à empêcher le Sénat d’adopter ce qu’ils appellent une «loi Monsanto», qui obligerait le Chili à adhérer à l’UPOV 1991 (Union internationale pour la protection des obtentions végétales). Cette organisation intergouvernementale, dont le siège se trouve à Genève, interdit l’échange de semences «protégées» entre agriculteurs, et en limite fortement la reproduction.

Le fait de favoriser les intérêts des multinationales agrochimiques au lieu des systèmes semenciers locaux se traduit également par une forte augmentation du prix des semences, avec des conséquences désastreuses pour les agriculteurs. Selon BioThai, une organisation de la société civile thaïlandaise citée par GRAIN, ainsi que le Conseil national des agriculteurs de ce pays, le prix des semences en Thaïlande pourrait augmenter de 60 à 100% en cas d’une adhésion à l’UPOV.
 

* Journaliste, SWISSAID (l’opinion exprimée ne reflète pas nécessairement celle de SWISSAID).

Opinions Chroniques Catherine Morand

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