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JO: une égalité de surface

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Difficile cet été de passer à côté des olympiades de Rio, omniprésentes dans les médias. Comme tant d’autres, nous nous sommes piquées au(x) jeu(x), avons regardé maintes épreuves, écouté ou lu avec délectation les diverses analyses, tout cela bien sûr sans quitter nos lunettes de genre.

Les JO ont ceci d’étonnant que, contrairement au reste du temps où les médias relayent peu les sports féminins, ils font la part belle aux épreuves tant masculines que féminines. Ainsi, au fil des jours et des images télévisuelles, une impression d’égalité s’est-elle dessinée. En effet, la part des épreuves féminines semblait être à égalité avec celles des hommes, tant les caméras se focalisaient sur des (équipes de) sportives. Etait-ce un effet d’optique? Ou la conséquence d’un accès égal aux épreuves? Le sport serait-il finalement un espace plus égalitaire que d’autres? À force d’images de sportives, la question a surgi: les femmes avaient-elles toujours pratiqué le badminton? la voile? le saut en longueur? le golf? Tout en se délectant dans la chaleur estivale d’une impression d’égalité réalisée, de combat achevé, de la possibilité d’utiliser le sport comme exemple, une question lancinante a surgi: où sont les épreuves mixtes? En dépouillant les numéros spéciaux que les quotidiens et magazines ont publiés pour l’occasion, en fouillant les rayons de nos bibliothèques, les réponses ont commencé à tomber.

Petit retour aux origines: en 1896, date des premières joutes, la compétition est exclusivement réservée aux hommes. Pierre de Coubertin estime qu’«une olympiade de femmes est impensable, elle est impraticable, inesthétique et incorrecte». Pendant très longtemps, la participation féminine aux JO est insignifiante. Il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour les voir arriver en nombre: seulement 13% en 1964, elles sont 45% en 2016. Leur présence grandissante explique qu’elles remportent de plus en plus de médailles: cette année, les treize premières médailles canadiennes ont été remportées par des femmes (Le Monde, 18 août 2016).

Mais poussons plus loin notre investigation. Quid de leur accès aux épreuves? En 1900, seuls deux sports, le tennis et le golf, sont ouverts aux femmes. En 2016, les épreuves féminines représentent 44% du total (306). Mais les épreuves mixtes sont rares et leur part diminue même au fil des ans: de 4% en 1996, elles passent à 2% en 2016. On y trouve le double mixte de tennis et de badminton. Sur un total de 26 disciplines olympiques, une seule est totalement mixte: l’équitation (saut d’obstacles, dressage et voltige). Pour le reste, toutes les disciplines sont séparées en épreuves féminines et épreuves masculines. Enfin, certaines activités restent des bastions: ainsi, la natation synchronisée et la gymnastique artistique sont exclusivement féminines, pendant que la lutte gréco-romaine est réservée aux hommes. Tout comme la lutte chez nous. La Fête fédérale de lutte suisse n’a, ce week-end, en effet pas vu de femmes affronter des hommes.

L’absence de mixité est largement sous-tendue par un discours sur les différences de performances sportives des unes et des autres. Ces écarts sont tour à tour expliqués par la masse musculaire, le tissu adipeux, la capacité cardiaque, la consommation d’oxygène, l’élasticité ligamentaire, voire la psychologie (Le Temps, 5 août 2016). La physiologie expliquerait donc les écarts observés dans la plupart des sports. Ces arguments, naturalisants, semblent avoir la vie dure… mais surtout, ils peuvent dans le domaine sportif se développer mieux qu’ailleurs. Le corps étant au cœur de l’activité, c’est LA différence (la fameuse, indépassable, nécessaire, complémentaire…) qui justifie l’existence d’épreuves séparées, de résultats différents, et in fine, lorsqu’on sort de la parenthèse des JO, de traitements médiatiques et de rémunérations incomparables!

Ainsi, les classements et les records diffèrent selon le sexe. À l’exception notoire de l’équitation où la différence de résultats entre femmes et hommes est insignifiante. Ailleurs, les hommes devancent les femmes mais, en y regardant de plus près, les différences sont là aussi minimes. Pourquoi alors maintenir des épreuves séparées? Faut-il à ce point tout mettre en œuvre pour reconstruire en permanence la différence entre les sexes, dont notre société inégalitaire a besoin? Ou, explication plus psychanalytique que sociologique, serait-on face à une peur masculine ancestrale de perdre face à une femme?

À quand des femmes et des hommes qui s’entraîneraient et concourraient ensemble? A quand des résultats qui seraient attribués à des individus plutôt qu’à des catégories de sexe? Nos illusions ont été de courte durée. Une fois les JO achevés, force est de constater que le sport fonctionne comme d’autres domaines d’activité et contribue par ses discours, sa structure et ses normes à créer des différences entre les sexes et à perpétuer des inégalités.

* Investigatrices en études genre.

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