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En médecine ambulatoire: l’Evidence Based Medicin (EVB): un outil ou un dogme?

À votre santé!

L’Evidence Based Medicin (EVB) se définit comme «l’utilisation consciencieuse et judicieuse des meilleures données actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de chaque patient». Dit comme ça, il parait évident que cette approche des soins fait sens, et permet une «mise à distance» salutaire du savoir du médecin, au regard de la littérature scientifique actualisée. Cette approche, popularisée dans les années 1990, a aussi permis au médecin, avant l’explosion d’internet, de sortir du cadre parfois trop rigide alors des «Écoles de médecine», qui faisait que, suivant si l’on s’était formé à Genève plutôt qu’à Lausanne – et je ne parle pas de Berne ou encore de Boston –, on soignait différemment des pathologies analogues. C’est dire que l’EBV a permis une meilleure prise en charge des patients, surtout dans le monde hospitalier, en particulier quand ceux-ci ne souffrent que d’une pathologie, et surtout si elle est aigue.

Elle a été un des éléments et peut-être même le catalyseur des fameuses «guidelines» (ou directives thérapeutiques) très en vogue actuellement, qui permettent d’assurer un suivi et une prise en charge optimale, malgré le changement constant du personnel médical dans les services hospitaliers – mais aussi parfois dans l’ambulatoire – (qui dilue et répartit la responsabilité d’un traitement sur plusieurs médecins, ce qui augmente le risque d’erreur).

L’EBV est donc, au 21e siècle, un outil indispensable pour le médecin. Mais il peut aussi être utilisé par des gestionnaires (comme les assurances), pour justifier des programmes de rationalisation des ressources financières et matérielles dans l’organisation des soins. Ainsi récemment, Helsana, l’un des plus grands groupes d’assurance avec près de 2 millions d’affiliés, a publié des chiffres impressionnants, dénonçant le fait que 70% des généralistes proposaient une mauvaise prise en charge des patients souffrant d’un diabète. C’est à priori inquiétant. De quoi s’agissait-il en fait? Ces médecins – pris en faute!– ne suivaient pas les lignes directrices du Swiss Medical Board, mandaté par les cantons et les assurances (mais où siègent aussi l’Académie des sciences médicales et Interfarma) pour «contribuer à garantir l’efficacité, l’adéquation et l’économicité des traitements, tels qu’exigés par la LAMAL».

Cela ne veut pas encore dire que ce qu’ils faisaient était faux et dangereux, mais seulement que ce n’était pas conforme aux recommandations d’experts – certes très compétents –, mais dont aucun ne suit au quotidien des patients ambulatoires atteints d’une maladie chronique comme l’est le diabète. Je peux croire que certains collègues manquent d’actualisation (nous sommes tous une fois ou l’autre pris en flagrant délit), mais l’EBV tient peu compte ni du contexte du patient ni de sa réalité médicale qui est souvent complexe, pouvant associer plusieurs maladies. Le médecin de famille a l’avantage de connaître son patient dans la durée, dans son environnement, avec son histoire de vie. Il y a donc une prise en charge concertée et acceptée de la maladie par le patient, qui reste maître de sa santé. Le médecin doit souvent «pactiser» avec son patient (ou ses parents s’il est un enfant), en dérogeant sciemment aux guidelines, en choisissant un chemin thérapeutique de «traverse», en proposant ou non un examen spécialisé, ou encore en proposant un traitement qui tient compte des différents paramètres liés à la présence de plusieurs maladies conjointes.

En effet, il doit tenir compte de la réalité actuelle de son patient, même si son objectif final est de l’amener vers un suivi plus proche des recommandations internationales. C’est là où l’expérience clinique et le savoir-faire du médecin entrent en jeu et où sa vision holistique est essentielle. Sauf dans l’urgence où les directives thérapeutiques sont particulièrement utiles, l’EBM n’est qu’un outil. L’EBM ne doit pas être une norme qui permet de classer les médecins ou de décider d’un remboursement de soin. C’est une dérive grave. Cela pourrait aussi conduire à exclure des patients des soins, s’ils ne suivent pas le traitement «reconnu».

*Pédiatre FMH et président de Médecins du monde Suisse.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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