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«Comment vous faites pour savoir l’âge du jeune?»

Pour les réfugiés, l'estimation de l'âge a une importance capitale. Mais les tests d'âge ne sont pas des plus fiables. La chronique de Rozenn Le Berre.
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«Mais comment vous faites pour savoir l’âge du jeune?» Dès que je parle de mon travail, cette question, innocente et fondamentale, revient. Je n’ai pas vraiment de réponse. Personne n’en a, d’ailleurs. Rien ne permet d’établir de manière fiable l’âge d’une personne. Au niveau biologique, un os situé au niveau du poignet est censé arriver à maturité à 18 ans. Une radiographie permettrait donc d’évaluer l’âge d’une personne. La marge d’erreur? Plus ou moins dix-huit mois. La population sur laquelle est basée le référentiel? Des enfants blancs bien nourris, en 1930.

Une pratique douteuse

Nombreux sont les médecins qui, à raison, ont élevé la voix pour s’indigner contre cette pratique douteuse où la science qui soigne devient un outil qui expulse. En théorie, le recours à cet examen n’est possible que «si les entretiens ne permettent pas une appréciation fondée de la minorité»1 value="1">Circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers: dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation NOR: JUSF1314192C.

Au niveau des papiers d’état civil, la fiabilité est fragile. La plupart sont émis dans des pays où la corruption est une discipline nationale, où l’on peut acheter un acte de naissance au marché, où les enfants ne sont pas forcément enregistrés à la naissance, où les registres d’état civil brûlent ou disparaissent. Au niveau de l’apparence physique, peu d’éléments crédibles sur lesquels se baser.

«Qui suis-je pour affirmer que Soheib 'fait jeune'?»

Certes, la distinction entre un trentenaire et un préado ne pose a priori que peu de difficultés. Mais pour les autres? Ceux à qui on donnerait 16 ans comme 25? Ceux qui «font plus grands» ou «plus petits» que leur âge? Sans oublier l’œuvre de la souffrance, la fatigue ou la peur qui labourent les visages, étirent les traits et percent des rides… Qui suis-je pour affirmer que Soheib «fait jeune» alors que Mustafa «fait vieux»?

Au niveau du récit de vie, on est chargés d’observer si l’histoire est «cohérente». Mais là encore, quelle fiabilité? Le jeune éduqué saura jongler sans problèmes avec les dates et les âges, calculer, trouver la réponse attendue, là où l’analphabète n’y arrivera pas. Rien de fiable. Donc les textes régissant l’accueil des MIE, et notamment la circulaire Taubira, recommandent l’utilisation d’un «faisceau d’indices»2 value="2">«Aucune des rubriques retenues ci-dessus ne permet en elle-même une appréciation fondée de la compatibilité entre l’âge allégué par le jeune et son âge réel. L’évaluateur devra apprécier si tous les éléments apportés forment un ensemble cohérent. Ces éléments constitueront un faisceau d’indices qui permettra à l’évaluateur d’apprécier si le jeune peut ou non avoir l’âge qu’il affirme avoir.», cf. circulaire citée supra., merveille juridique permettant de piocher des éléments qui, seuls, ne prouvent pas grand-chose, mais combinés à d’autres, commencent à peser.

Une tambouille intellectuelle: on regarde les papiers, les déclarations, l’apparence physique, l’attitude. On fournit tous ces éléments au département dans un rapport chargé de faciliter la décision. C’est donc lui, le département, institution sans visage ayant la capacité de trancher des destins dans le vif, qui est le décideur final. Ça nous protège. On essaie de se convaincre que ce n’est pas notre impression subjective qui joue.

«Il y a des Français qui sont Noirs?»

Abdoulaye entre dans le bureau et me sort de mes pensées maussades. Abdoulaye n’a plus peur, il a eu une réponse positive du département et attend d’être accueilli dans un foyer. Il est rigolo, ce gamin. Il pose toujours des questions aux réponses impossibles – «Pourquoi t’es pas musulmane toi?». Il fait croire aux filles qu’il est Américain pour les draguer. Abdoulaye ne parle pas un mot d’anglais et s’exprime avec un accent malien à couper au couteau, mais c’est pas grave, avec un peu de chance, elles y croiront.

Il me fait écouter du rap malien sur YouTube. Echange de bons procédés, je lui fais écouter du rap français: Sexion d’Assaut. Abdoulaye regarde l’écran, fronce les sourcils, et me présente un sourire très dubitatif. Puis: «Mais c’est pas des Français ça! Regarde, ils sont tous Noirs!»
– …
– Il y a des Français qui sont Noirs?
– Je ris. Je lui explique qu’il y a des Français qui sont Noirs. Et qu’un jour lui aussi, je l’espère, il sera Français. Même s’il est Noir.

 

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Rozenn Le Berre, éducatrice, a travaillé dix-huit mois pour une administration française chargée de l’audition de jeunes migrants (les prénoms ont été modifiés). Sur la base d’entretiens, elle établissait les dossiers permettant à l’autorité compétente de se prononcer sur l’octroi – ou non – du statut de «mineur isolé étranger» (MIE). Elle prépare actuellement un livre à paraître aux éditions La Découverte. rozennlb@gmail.com

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Au bureau des exilé-e-s

mercredi 6 juillet 2016
Rozenn Le Berre, éducatrice, a travaillé dix-huit mois pour une administration française chargée de l’audition de jeunes migrants (les prénoms ont été modifiés). Sur la base d’entretiens, elle...

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