Chroniques

La virilité au cœur de la violence

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Au lendemain de la tuerie de Nice, nulle envie de parler du sexisme dans ses formes estivales, mais une nécessité: réfléchir à partir du féminisme aux violences terroristes, ainsi qu’aux réponses données par les Etats.

Une précision en introduction. Il n’est pas question ici d’opter pour une analyse de type différentialiste, prônant le retour à des soi-disant «valeurs féminines» qui pourraient nous épargner les horreurs du monde actuel. Il s’agit de questionner la violence aveugle comme une expression de certaines formes de virilité.

Selon Laurent Bibard, dans son ouvrage Terrorisme et féminisme. Le masculin en question, le terrorisme serait l’expression extrême de la violence masculine. Sans le suivre dans ses tentatives d’explications psychanalytiques, certains aspects sont à interroger. Il souligne l’importance, pour les hommes, de la question du sens et estime que la violence se développe dès lors qu’ils n’en trouvent plus. Cette analyse permet, en partie du moins, d’expliquer les dérives dans l’ultra violence de certains jeunes hommes ne trouvant pas de sens à la société dans laquelle ils vivent, et qui essaient d’en redonner en endossant l’idéologie de Daesh, en flirtant avec l’extrême droite, ou encore en soutenant le lobby américain des armes.

Au-delà de la quête de sens, c’est aussi leur place dans la société qui est interrogée. Si les profils des auteurs d’attentat en Europe et des tueries de masse aux Etats-Unis diffèrent, le fait de ne pas trouver de place ou de ne pas être à la place qui leur semblerait correcte paraît être un élément récurrent. Et c’est là qu’une perspective de genre pourrait alimenter le débat. En effet, dans une société patriarcale, la «juste place» pour nombre d’hommes est une position de dominant. Or, lorsqu’on est discriminé ou exclu en raison de ses origines, peu ou pas inséré, on subit une forme de déclassement. La violence extrême pourrait alors être envisagée comme une façon de reconquérir ce qu’ils considèrent comme leur «juste place virile». On peut donc dire qu’il s’agit de forme ultime de la violence masculine, qui dans ses types moins extrêmes est souvent peu condamnée, voire même tolérée.

Par ailleurs, les Etats occidentaux proposent des réponses empruntant au même registre de la virilité magnifiée. Combien a-t-on salué Hollande lorsqu’il a endossé sa posture de chef de guerre, rassembleur au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo! Combien les propos ont été durs envers les quelques élu-e-s et les militant-e-s français-es inquiété-e-s par les risques de dérive de l’état d’urgence, laissant les pleins pouvoirs à la police et à l’armée! Enfin, au lendemain de cet attentat, la première réponse a été d’annoncer le durcissement des frappes en Syrie, le bras de fer viril se poursuit…

Que dire enfin de la réponse des forces de l’ordre lors de tous ces derniers événements? L’exécution des auteurs a été systématique. On peut comprendre que dans certaines situations, les échanges de coups de feu entraînent la mort du suspect, du tireur ou du terroriste. Mais il est devenu quasi «normal» d’entendre que le tueur, parfois le tueur présumé, a été abattu. La justice (on entend par ici le système judiciaire) ne semble plus avoir sa place. L’exécution durant les opérations devient donc la réponse, un retour à peine voilé de la peine de mort en somme. On en revient à la loi du Talion, ou à celle du Far West, dans les deux cas des illustrations de modèles virils hégémoniques: le patriarche défendant les siens.

Aucune prétention ici à présenter les mécanismes qui conduisent des personnes, en l’occurrence majoritairement des hommes, à passer à la violence, encore moins à en excuser les origines, mais une volonté d’analyser, de trouver des pistes pour enrayer le phénomène. Si le terrorisme, quelle que soit l’idéologie qui le sous-tend, est une forme extrême de la violence masculine et donc l’expression de la domination masculine, il convient de la combattre sous toutes ses formes. Rappelons ici que le meurtrier de Nice était connu des services de police, non pour détention d’armes ou participation à une organisation terroriste, mais pour violences conjugales! C’est pourquoi il s’agit de ne plus minimiser les violences ordinaires, quotidiennes perpétrées par des hommes au nom de leur virilité.

* Investigatrices en études genre.

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