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Outrances verbales, dérive politique!

Chroniques de résistance

Le 15 juin dernier, le conseiller aux Etats argovien Philipp Müller (PLR), ancien président central de ce parti, est intervenu dans les débats parlementaires en demandant au Conseil fédéral s’il était bien informé de la réelle situation en Erythrée. Müller a ainsi déclaré: «On parle toujours des prisons érythréennes auxquelles on n’a pas accès, je ne peux entendre ça!»1 value="1">Cf. «Burkhalter mouche Müller», Le Courrier du 16 juin 2016. et de mettre en doute la crédibilité du récent rapport de la commission d’enquête des Nations Unies (rendu public le 8 juin dernier) qui parle notamment de «crimes contre l’humanité, d’esclavage, de tortures et d’exécutions sommaires». C’était si énorme que le conseiller fédéral Didier Burkhalter, PLR lui aussi, s’est dit «choqué et révolté» et a apostrophé son collègue de parti en rétorquant: «Vous vous rendez compte de ce que vous dites!»2 value="2">Id., alors même que le CICR ne peut plus mettre les pieds dans les lieux de détention érythréens depuis dix ans.

Le même 15 juin, en France, le premier ministre, Manuel Valls, a accusé la CGT de «complicité avec les casseurs»3 value="3">Lu, vu et entendu dans tous les médias. ayant sévi la veille à Paris en marge de l’immense manif contre le projet de la loi travail. Imbibé d’invectives, Valls a dénoncé ensuite les violences qui ont «ravagé» l’hôpital Necker (établissement pédiatrique) alors même que l’enfant du couple de policiers assassinés dernièrement dans les Yvelines s’y trouvait. Il a fallu que le médecin-chef de l’hôpital et des journalistes présents sur place démentent lesdites violences (15 vitres ont certes été ébranlées par des coups de marteau donnés par des voyous imbéciles, mais ne se sont même pas effondrées) pour lever l’intox!

Toujours le 15 juin, c’est au tour de François Hollande de déclarer qu’il envisage d’interdire les manifestations contre la loi travail pour que «les personnes et les biens soient préservés»4 value="4">Id.… une menace délirante contre un droit constitutionnel que même l’état d’urgence ne peut révoquer sine die!

Ce n’est pas tout. Dans le contexte du mouvement social impressionnant, protéiforme et durable qui s’est développé en France depuis quatre mois, Pierre Gattaz, patron des patrons en sa qualité de président du Medef, a déclaré récemment aux journalistes du Monde que les militants de la CGT opposés à la loi travail «se comportaient comme des terroristes»5 value="5">Cités par Politis du 9 juin 2016.. Lui faisant écho, l’éditorialiste Franz-Olivier Giesbert écrivait dans Le Point que «la France est soumise aujourd’hui à deux menaces qui, pour être différentes, n’en mettent pas moins en péril son intégrité: Daech et la CGT»6 value="6">Id.

Ces outrances verbales qui n’ont plus aucun rapport avec le réel et qui dépassent totalement une juste vivacité du débat démocratique sont le signe d’une dérive politique gravissime. Certes, l’histoire ne se répète pas, mais elle fait des hoquets qui exhalent des odeurs puantes. Les fascistes du siècle dernier usaient de ces mêmes outrances verbales avant de passer aux actes… Il s’agit donc de ne jamais les laisser passer, car elles contiennent en germe toutes les tyrannies!

 

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* Animateur en éducation populaire

Opinions Chroniques Bruno Clément

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lundi 8 janvier 2018

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