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Tabac: en Suisse, la santé de l’économie semble plus importante que celle des gens!

À votre santé!

Cette année, le 31 mai, à l’occasion de la Journée annuelle sans tabac, l’OMS a appelé les pays à se préparer au conditionnement neutre (standardisé) des produits du tabac, mesure déjà adoptée par l’Australie en 2012, par l’Irlande et la Grande-Bretagne en 2015, et probablement suivie entre autres par la France cette année.

Le conditionnement neutre est une importante mesure de réduction de la demande qui rend les produits du tabac moins attrayants, freine l’utilisation du conditionnement comme moyen de publicité et de promotion, limite les emballages et étiquetages trompeurs, et augmente l’efficacité des mises en garde sanitaires. Il fait partie d’une approche multisectorielle globale de la lutte antitabac.

Doit-on rappeler que la fumée est le facteur de risque connu le plus important des maladies chroniques non infectieuses telles que le cancer, les maladies cardiaques, les affections pulmonaires et le diabète? Elle est responsable d’une grande proportion de décès prématurés: 6 millions de personnes meurent chaque année du tabagisme dans le monde et près de 9000 en Suisse. A l’heure actuelle, la Suisse compte encore 25% de fumeurs et les coûts médicaux et économiques en résultant se montent à quelque 10 milliards de francs par année. C’est dire que la fumée est au centre des préoccupations de santé publique. C’est pourquoi le Conseil fédéral propose une révision de la loi sur les produits du tabac.

Sachant que de nombreuses études ont démontré que les jeunes qui n’ont pas commencé de fumer avant l’âge de 21 ans ne fumeront probablement jamais et que, par ailleurs, 57% des fumeurs ont commencé à fumer alors qu’ils étaient mineurs, la révision cherche à préserver tout particulièrement les enfants et les adolescents des effets nocifs du tabagisme, en centrant son action sur deux aspects: l’interdiction de la vente aux mineurs (comme c’est déjà le cas pour Vaud et Genève) et la restriction de la publicité, de la promotion et du parrainage en faveur du tabac.

Ce projet, pourtant, ne propose pas une interdiction générale et stricte de la publicité. Pour «préserver l’activité économique de l’industrie du tabac», selon les propres paroles du Conseil fédéral, la publicité dans les points de vente, dans les publications spécialisées ainsi que lors de manifestations nationales demeure autorisée. L’e-cigarette contenant de la nicotine (et qui est souvent employée dans un processus de sevrage du tabagisme) est autorisée mais soumise aux mêmes règles que le tabac.

C’est dire que le projet de loi se veut «consensuel à la Suisse», faisant fi des avis de la FMH et de nombreuses associations médicales et de prévention suisses, dont la Société suisse de pédiatrie, qui, en accord avec l’OMS, prônent depuis plusieurs années une interdiction générale et stricte de la publicité, une interdiction de la promotion directe ou indirecte des produits du tabac, une interdiction du parrainage de manifestations publiques et l’introduction d’un emballage neutre diminuant l’attrait des produits du tabac. Néanmoins, la nouvelle loi permettrait enfin à la Suisse de ratifier la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCAT ou FCTC en anglais), déjà ratifiée par 180 des 194 Etats.

Pourtant, le 22 avril, la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats (CSSS-E) à sa majorité a décidé de proposer de renvoyer le projet de loi au Conseil fédéral, considérant que les restrictions de publicité, de promotion et de parrainage vont trop loin et interfèrent avec l’économie de marché. Il faut dire que le lobby des cigarettiers est fort, lui qui n’a pas hésité à attaquer en justice des pays comme l’Uruguay, la Grande-Bretagne ou l’Australie lors de l’introduction de l’emballage neutre. Cela a coûté près de 40 millions de francs aux contribuables australiens même si, en fin de course, le gouvernement a eu gain de cause.

Après le sabordage de la Loi sur la promotion de la santé et de la prévention en 2012, puis de celle sur l’alcool en 2015 aux Chambres fédérales, la position de la CSSS-E laisse préjuger du torpillage du projet de loi sur les produits du tabac. Cette commission, qui devrait défendre des intérêts de santé publique et d’accessibilité des soins pour tous au moindre coût, une fois de plus, est à contre-courant de ce que la science de la prévention montre comme efficace pour la santé; et, comme le rappelait Bertrand Kiefer dans un numéro récent de la Revue médicale suisse, elle défend l’industrie du tabac plutôt que la santé des gens!

* Pédiatre FMH, président de Médecins du monde Suisse.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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