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La catastrophe de Tchernobyl a trente ans

Le 26 avril, anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, marque aussi la création de la «vigie», présence silencieuse dont l’objectif est de rappeler ses devoirs à l’OMS en matière de protection sanitaire des populations victimes des conséquences de l’industrie nucléaire.
Nucléaire

Si le 26 avril marque le 30e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, il en marque également un autre, lié au premier et aussi important, celui de la vigie de l’«OMS indépendante», devant les portes de l’Organisation mondiale de la santé, à Genève.

Cette présence, qui entre dans sa dixième année et a lieu tous les jours de 8 h à 18 h, exige que l’OMS modifie le pacte la liant à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). L’accord en question donne à l’AIEA un droit de veto sur tout ce que voudrait entreprendre l’OMS dans le domaine de la santé humaine et la radiation ionisante.

Selon l’OMS, l’accord n’a jamais gêné son travail de la moindre façon. L’«OMS indépendante» le voit d’un autre œil. Depuis longtemps, les critiques de ce pacte n’ont cessé de noter que l’AIEA (unique parmi les organes du système onusien) est placée sous l’autorité du Conseil de sécurité. Dès qu’il y a le moindre différend, l’AIEA peut lui renvoyer le dossier. Là, les cinq membres permanents – tous des puissances nucléaires – peuvent déclarer nulle et non avenue toute demande de la part de l’OMS. L’OMS, en revanche, ne peut recourir qu’auprès de l’Assemblée générale, organe sans poids par rapport au Conseil de sécurité.

En 2000, l’Office du haut commissaire pour les réfugiés a demandé à l’OMS une expertise sur les effets sanitaires de la radiation émise par les armes à l’uranium appauvri larguées sur le Kosovo. Le travail était déjà en cours avant que l’AIEA en soit avertie. Informée, celle-ci est intervenue pour y mettre fin. Une ébauche a cependant été adressée à Frederick Barton, haut commissaire adjoint, qui assurait le relais entre le départ de Sadako Ogata et son successeur. Se basant sur ce texte, M. Barton a émis des mises en garde importantes pour le personnel envoyé au Kosovo.

Peu après, M. Barton n’était plus en poste. Toute tentative d’obtenir une explication de son départ n’aboutit à rien. Il refera surface à l’université Princeton…

A l’époque, la radiation ionisante est confiée au docteur Michael Repacholi, spécialiste d’ondes électromagnétiques. Quand l’utilisation d’armes à l’uranium appauvri au Kosovo devient publique, c’est lui, sans réelles connaissances dans le domaine, qui dirige une étude sur l’uranium et les risques sanitaires liés à une exposition à sa radiation. Pourtant, les monographies examinées sont consacrées à l’uranium comme source de pollution chimique.

Son rapport de synthèse est toujours cité, partout dans le monde, comme une «monographie» (c’est ainsi qu’il a été désigné lors de sa présentation) fiable car pourvue de l’imprimatur de l’OMS. Le Dr Repacholi ne mâche pas ses mots: «L’uranium appauvri est fondamentalement sain.»

Le docteur a fait plus tard l’objet d’une pétition internationale exigeant son licenciement. En cause: son travail sur les ondes électromagnétiques – son domaine de spécialisation. S’il a été engagé pour établir des normes internationales de sécurité pour les personnes exposées à ces ondes, l’OMS lui a laissé le soin d’en chercher les fonds nécessaires, qu’il a levés auprès de grandes entreprises de la téléphonie mobile…

Depuis, ces normes sont sans cesse remises en question, y compris par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), organe de l’OMS, mais elles restent inchangées. Les normes sur la radiation ionisante sur lesquelles le Dr Repacholi a insisté et qui sont à la base des conclusions de sa «monographie», évoquées depuis pour Tchernobyl et Fukushima, restent immuables, elles aussi. Immuable également le bilan des morts imputables à Tchernobyl: 51.

En 2011, la New York Academy of Sciences publie une traduction anglaise d’un ouvrage en russe analysant un millier de titres et plus de 5000 publications, pour la plupart en langues slaves. Pour la période de 1986 à 2004, les éditeurs chiffrent 985 000 morts. En 2005, un communiqué de presse du gouvernement de l’Ukraine (qui ne cesse de minimiser les effets de la catastrophe) a déjà fait état de 2 646 106 victimes, dont un tiers d’enfants.

Au début de la catastrophe à Fukushima, l’OMS tirait ses informations de spécialistes (physiciens et ingénieurs) de l’AIEA. Aucune des deux organisations n’employant de biologistes spécialisés en radiation, le bilan sanitaire établi par l’OMS ressemble à celui de Tchernobyl.

Avec le vieillissement des réacteurs partout dans le monde, le risque d’une nouvelle catastrophe avec des retombées sanitaires pour des générations à venir augmente de façon exponentielle. Mais, pour le moment, il ne faut pas compter sur l’OMS pour en savoir plus.

* Journaliste indépendant.

Opinions Agora Robert James Parsons Nucléaire

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