Contrechamp

Luxembourg et Gramsci : quelle empreinte ?

A Lausanne, Genève et Paris, un projet international de formation et de recherche, ouvert à tous, propose d’étudier et de débattre sur l’œuvre de deux penseurs d’un XXe siècle de guerre et de révolution: Rosa Luxemburg et Antonio Gramsci sont-ils inactuels ou, au contraire, utiles pour vivre, résister, penser, créer aujourd’hui?
Rosa Luxembourg (1870-1919) ROSA LUXEMBOURG -STIFTUNG / COLL. KARL DIETZ VERLAG
Séminaire et journée d’étude

Pour, approfondir le débat autour de l’exil et du desexil, dans la suite d’autres recherches1 value="1">Respectivement de l’Université de Nice, Collège international de philosophie, Université de Genève et Université de Lausanne. en cours dans le cadre du Programme du Collège international de philosophie «Exil, création, philosophie et politique: philosophie et citoyenneté contemporaine», nous relisons les œuvres de Rosa Luxemburg (1870 - 1919) et d’Antonio Gramsci (1891 - 1937). Seraient-ils devenus inactuels?

En quoi ces deux penseurs révolutionnaires nous aident-ils à formuler une nouvelle politique de la citoyenneté et de la civilité (Balibar), à comprendre le dynamisme des mouvements sociaux, mais aussi les désertions de la politique, la fragmentation, la prégnance de discours identitaires haineux? Peuvent-ils nous aider à saisir la philosophie et la politique actuelle «d’homme jetable» (Ogilvie), les nouvelles formes de violences, d’état d’exception, de guerre, ou les limites écologiques de la planète?

Des communistes critiques

Leur œuvre s’est construite au tournant du tragique «court XXe siècle». Ils ont payé très cher (censure, répression, prison, assassinat) l’échec des révolutions pour lesquelles ils se battaient en Allemagne, en Italie, en Pologne, en Russie. Ils étaient des communistes critiques et des intellectuels organiques des mouvements révolutionnaires. En quoi ces deux figures du XXe siècle peuvent-elles nourrir l’imagination du XXIe siècle, l’action philosophique et politique actuelle?

Le mot «révolution» dont parlent Rosa Luxemburg et Antonio Gramsci dans leurs écrits serait-il devenu inactuel et s’agirait-il alors d’abandonner l’imaginaire de l’émancipation et ranger ces penseurs dans l’oubli? Nous pensons au contraire qu’il serait-il temps de les (re)lire autrement, dans divers contextes et divers pays.

Ces deux penseurs nous apprennent beaucoup sur une époque de capitalisme financier brutal et colonisateur, de guerres impérialistes, de révolutions et de contre-révolutions, d’expériences et de défaites historiques, de rêves, de projets d’émancipation radicale au tournant et au début du XXe siècle.

Des ouvriers « chair à canon »

Le mouvement ouvrier réuni dans la Seconde Internationale se fracassa sur l’impuissance à éviter la Première guerre mondiale. Il s’affronta aux nationalismes, à la propagande guerrière qui ne l’épargna pas. Des millions d’ouvriers ont été la chair à canon de l’industrie guerrière de masse des tranchées et des champs de bataille. Le mouvement ouvrier fut défait par les impérialismes européens qui se traitèrent les uns les autres comme ils maltraitaient les colonisés de leurs empires. La Troisième Internationale échoua aussi à faire avancer les projets de transformation radicale en inventant de nouvelles formes d’organisation.

Rosa Luxemburg et Antonio Gramsci furent deux grands protagonistes de leur époque charnière en Europe. Ils eurent la capacité théorique, le courage éthique et politique, de penser leur expérience de la révolution – mais aussi les défaites avec leurs conséquences tragiques – dans une philosophie de vie positive, en imaginant des perspectives nouvelles et incertaines. «Rester un être humain, c’est jeter, s’il le faut, joyeusement sa vie toute entière sur la grande balance du destin, mais en même temps se réjouir de chaque journée de soleil», écrivait Rosa Luxemburg. Quant à Gramsci, il mettait en garde en disant que «le vieux monde se meurt. Le nouveau est long à apparaître et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres».

Une ligne de réflexion et de recherche

Face aux énormes difficultés de leur vie quotidienne et politique, dans une période de brutalité et de guerre, les deux auteurs ont ouvert un horizon. Ils ont tracé une ligne de réflexion et de recherche qui, aujourd’hui, gagne à être évaluée alors que la violence extrême fait douter de la possibilité de la politique, de l’émancipation, de la citoyenneté, ou de la civilité.

Devant les métamorphoses et la violence du monde globalisé d’aujourd’hui, ils peuvent nous aider à comprendre ce qui se passe, à résister à la destruction et faire en sorte que la politique et la philosophie restent possibles. Face aux événements internationaux, à la montée d’une droite néoconservatrice et ultralibérale et aussi face aux contraintes de la vie quotidienne (travail, santé, logement, études, etc.), ils ouvrent des pistes pour résister et agir.

De nouvelles formes de résistance

L’exterminisme destructeur (des humains et de la nature) du capitalisme mondialisé et financiarisé agrandit le fossé entre les riches et les pauvres. Il produit des formes de soumissions nouvelles, et il vide de toute réalité des acquis sociaux historiques que l’on croyait irréversibles. On assiste aux violences intersubjectives de nationalismes sans peuple défini, on voit émerger des ethno-racismes de communautés déstabilisées et des affrontements théologico-politiques dans des conflits surdéterminés en guerre civile religieuse. On assiste aussi à de nouvelles formes de résistance et de création politique.

Les concepts forgés ou utilisés par Gramsci et Luxemburg comme ceux d’«hégémonie», d’«intellectuel organique», de «guerre», de «parti», de «syndicat», de «conseils», d’«organisation» peuvent servir pour comprendre le monde contemporain et y agir.

Certaines de leurs inventions théoriques et pratiques, de leurs démarches et de leurs actions sont actuelles. Mais pour pouvoir le montrer, nous devons faire de nouvelles lectures critiques et poser de nouvelles interrogations sur leurs travaux. Rosa Luxemburg et Antonio Gramsci méritent d’être explorés, retraduits, débattus aujourd’hui. Nous lançons le pari de les redécouvrir, avec des yeux nouveaux.

Exil-Desexil

Le projet «Rosa Luxemburg, Antonio Gramsci inactuels?» est un hommage du Programme Exil du Collège international de philosophie (CIPh) à l’immense travail du spécialiste de l’œuvre d’Antonio Gramsci en France, le philosophe André Tosel, qui présentera son dernier livre sur Gramsci.

En reconnaissance de ses travaux, encore trop méconnus, il s’agit de rendre visible, d’encourager la circulation d’une œuvre de poids et le travail de toute une vie d’un chercheur éminent. Cette étape de la recherche en cours au Collège international de philosophie (2016) vise à conjuguer la dialectique entre la «violence et la civilité», comme nous l’avons fait en 2012 au Chili1, puis dans un colloque récent à Istanbul en mai 2014, puis en diffusant les Actes sous la forme d’un livre2 et trois revues (Genève, Florence, Paris)3 autour d’un ouvrage d’Etienne Balibar4 (traduction en turc) et d’autres textes. MCCT

1 Voir la revue Repenser l’exil n° 4 et les publications en espagnol et en français à l’occasion d’un colloque international à l’Université de Concepcion (Chili) en 2012, www.exil-ciph.com

2 Balibar E., Caloz-Tschopp M.C., Insel A., Tosel A., Violence, civilité, révolution. Autour d’Etienne Balibar, Paris, La Dispute, 2015.

3 Cf. revue Repenser l’exil n° 5 (Genève): www.exil-ciph.com; revue Jura Gentium, www.juragentium.org/Centro_Jura_Gentium/la_Rivista_files/JG_2015_Balibar.pdf; revue Rue Descartes n° 85-86 (Paris): www.ruedescartes.org

4 Balibar Etienne, Violence et civilité, Paris, Galilée, 2010.

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Programme

Séminaire:

 > Genève: Uni-Mail, salle M1130, mercredis 20 et 27 avril, mardi 5 mai, 17 h-20 h, avec Fabio Frosini, Umberto Bandiera, Bob Jessop, Raphaël Ramuz, Stefan Kipfer, Noemi Michel.

 > Paris: jeudis 12 et 19 mai, 17 h-21 h avec Etienne Balibar, Giancarlo Schirru, Jean Robelin, Safaa Fathy, Jean-Numa Ducange, Ilaria Possenti, Jules Falquet.

Soirée et journée d’étude:

 > Genève: UOG, 27-28 mai 2016:

• 27 mai, 19 h 30-22 h: Soirée publique spéciale, Prof. Werner Haug, U. libre de Berlin;

• 28 mai, 8 h 30 – 19 h. Matin, André Tosel, Michaël Löwy, Ben Aziza, Frigga Haug, Francesca Izzo. Après-midi : Eleni Varikas, Marie-Claire Caloz-Tschopp, Selima Ghezali, Zeyneb Ben Saïd.

Organisation, partenaires, appuis:

 > Collège international de philosophie (CIPH), Paris, et Programme CIPH Exil-Desexil, Genève, Universités de Lausanne et Genève, Maison des Sciences de l’homme Paris-Nord, Syndicats UNIA, CGAS, Actuel Marx, Espaces Marx, Fondation Rosa Luxemburg, Fondation Gabriel Péri, Fondazione Istituto Gramsci, Rome.

Entrée gratuite.

Programme complet sur: www.exil-ciph.com

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Des conférences ouvertes

Les conférences publiques à Genève, Lausanne et Paris accueillent des universitaires, spécialistes des auteurs étudiés, mais aussi des militant-e-s, syndicalistes, féministes, et autres animatrices et animateurs de mouvements. Le public est aussi invité à intervenir et discuter au cours des séances afin que chacune et chacun puisse s’approprier l’énergie et la pensée de Luxemburg et Gramsci pour notre temps.

Notes[+]

Opinions Contrechamp André Tosel, Marie-Claire Caloz-Tschopp, Romain Felli, Antoine Chollet Séminaire et journée d’étude

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