Chroniques

«Tous des traîtres»

AU PIED DU MUR

Le ministre de la Défense israélien, Moshe Yaalon, n’a pas mâché ses mots en décrivant les militants du mouvement «Breaking the Silence» comme des traîtres qui doivent être traités comme tels. Breaking the Silence est une organisations d’anciens soldats qui documente les violations des droits humains par des militaires en poste dans les territoires palestiniens occupés.

«Il n’est pas certain que le ministre de la Défense ait conscience de la gravité de ses propos sur l’organisation ‘Breaking the Silence’. Il s’est soumis, par lâcheté, aux positions d’extrême droite qui dominent aujourd’hui dans le gouvernement. L’objectif de cette incitation est de provoquer la mise hors la loi de cette organisation, et de rendre illégitime toute forme d’opposition à l’occupation.

(…) L’incitation brutale contre ‘Breaking the Silence’ peut avoir des implications tragiques, comme cela avait été le cas à la suite des campagnes de haine brutales de la droite [c’est-à-dire l’assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin], auquel cas le sang des militants de ces organisations serait sur les mains de ministres…» C’est par ces mots que l’éditorialiste de Haaretz a dénoncé, le 22 mars 2016, les propos du ministre de la Défense, sous le titre «Incitation au meurtre». On sait que Yaalon n’est pas une lumière, et on pourrait attribuer sa déclaration à son intelligence plutôt limitée. Sauf que…. Sauf qu’il n’est pas seul a tenir de tels propos:

Benjamin Netanyahou, Premier ministre: «Breaking the Silence a franchi une ligne rouge de plus; collecter des informations sur des soldats de l’armée israélienne est proprement inacceptable.» Ayelet Shaked, ministre de la Justice: «Il ne fait aucun doute que quiconque rassemble de telles informations sur Tsahal porte atteinte à l’Etat, d’une manière que l’on peut définir comme une haute trahison.» Yariv Levin, ministre du Tourisme: «Cette chose [l’action de Breaking the Silence] n’a qu’un nom: trahison. Mais aujourd’hui ils ne s’en contentent pas, ils ont commencé à faire tout simplement de l’espionnage.»

Même Rabin n’avait pas été accusé d’espionnage, et pourtant il a été assassiné à la suite de la campagne d’incitation d’Ariel Sharon et de Benjamin Netanyahou. La vie des militants de «Breaking the Silence» est aujourd’hui en danger. Mais pas seulement eux: la campagne de délégitimation menée par le gouvernement d’extrême droite s’attaque a toutes les organisations qui dénoncent l’occupation et ses méfaits, y compris les organisations de défense des droits humains les plus modérées et les plus respectables; elle dénonce aussi les institutions culturelles, les artistes et les universitaires qui refusent de hurler avec les loups qui tiennent les rênes du pouvoir, et pour commencer leur coupent les subventions gouvernementales. A ce propos l’historien du fascisme en Europe, Zeev Sternhell, lauréat du prestigieux Prix Israël (la plus haute distinction du pays) écrivait, quelques jours avant les déclarations de Yaalon et Cie: «La droite a toujours besoin d’un ennemi, extérieur ou intérieur. Ce secret n’a pas été invente par Netanyahou ou [la ministre de la Culture!] Miri Reguev, hantée par des complexes. C’est ainsi qu’ont gouverne tous les fossoyeurs de la démocratie du siècle précédent. L’ennemi ce sont les ‘élites’ libérales, l’ennemi se sont les organisations pour les droits de l’homme, l’ennemi se sont les artistes et les écrivains, et ‘Breaking the Silence’ sont des traîtres car ils osent dire la vérité: dans les territoires règne un régime d’apartheid, et l’armée, au service des colons, martyrise une population occupée.» (Haaretz, 18 mars 2016)

Même s’il n’utilise pas le mot, ce grand intellectuel israélien nous décrit là le régime fasciste qu’est devenu Israël.

*Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

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