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L’origine de l’extinction des dinosaures…

Luca V. Bagiella argumente en faveur de l’abolition du salariat.
Réflexion

L’autre soir au téléjournal, ils parlaient de la grave pollution d’un fleuve. Un grand canal tellement pollué qu’il lui arrivait parfois de prendre feu! Habituellement, ce n’était pas le feu qui inquiétait les passants, mais l’énorme quantité de mousse qu’il produisait au bord des routes, sous les ponts, dans le vent.

A l’origine de tout ce mal, à peu de kilomètres de là: deux usines. Des lieux de travail qui employaient à elles seules plus de la moitié de la population de cette petite ville. Dès lors, on le devine bien: ils étaient peu nombreux ceux qui se plaignaient de l’irrespirabilité de l’air. C’étaient les retraités, les marginaux ou les gens de l’extérieur. Bref, c’étaient ceux qui ne travaillaient pas ou qui n’avaient pas leur propre fille ou fils, femme ou mari, qui travaillaient pour les deux premiers employeurs de la ville. En outre, ce qu’il y avait d’intéressant dans ce focus télévisé, c’était la manière dont ceux qui montraient du doigt la pollution se faisaient mal voir par les passants. Ce n’était pas rare qu’ils reçoivent même des insultes pour oser critiquer ce qui faisait vivre tant de monde.

Evidemment, nous, observateurs non concernés par la source d’argent que représentent ces usines et devant une telle gravité écologique, nous avions envie de crier: «Mais enfin fermez ces usines et commencez vite la purification avant que cela ne soit trop tard!». Cependant, tout le problème est là!… Dans le fait que, derrière notre belle morale et notre fière intelligence, nous ne sommes pas les spectateurs d’un cas isolé, mais nous sommes là, devant le plus logique résultat d’un conditionnement à l’argent, dans la plus pure tradition des modes de vie issus de la révolution industrielle.

Nous sommes tellement habitués à recevoir un salaire et à attendre de l’autre qu’il nous serve sur la base de cet argent que nous n’arrivons plus à voir d’autres possibilités de vie en commun. Pour nous déculpabiliser un peu, nous pouvons penser que nous ne sommes pas dans une position de force qui nous permettrait d’affirmer: «L’argent, je m’en fous!» A l’instar des travailleurs de l’usine, nous sommes dépendants de notre employeur et de l’image de notre profil sur le marché du travail. Un marché qui se montre de plus en plus sélectif et qui nous signifie encore plus le chantage dont nous sommes tous victimes: «Si tu veux du travail et donc faire partie de la société, tais-toi, souris et sois docile.» L’individu d’aujourd’hui est enchainé au système économique qui le maintient en vie puis qui, à l’instar des déchets et de la pollution que l’on renvoie à la nature, le jette sans considération.

La tendance au fatalisme est forte à ce stade de réflexion. Cependant, il faut pouvoir s’en déprendre, car les solutions existent… Elles demandent que l’on sache concevoir les plus sérieuses problématiques sociales – comme l’écologie, la migration, le terrorisme, les inégalités, le chômage, la perte de sens – comme les conséquences d’un mal plus profond. Autrement dit, il est presque inutile de se battre et de continuer à créer des associations contre ces crises si on n’ose pas s’attaquer à notre statut de salariés, à notre statut de consommateurs. Concrètement, je dirais qu’il faut commencer par nous libérer du joug de l’argent; cela signifie abolir le salariat1 value="1">A ce propos, l’initiative sur le revenu de base (http://bien.ch/fr) constitue un premier pas sérieux., et ce comme nous avons historiquement aboli l’esclavage puis le servage. Si on ne fait pas ce pas nécessaire, alors il faut accepter de rester bloqués dans l’hypocrisie, la fausse modestie, le faux engagement…

Maintenant, si on veut connaître l’origine de l’extinction des dinosaures, nul besoin de sciences ni d’université, il suffit de regarder autour de nous; il suffit de réfléchir à la survie des prédateurs à une époque où ils se retrouvent seuls face à eux-mêmes…

 

Notes[+]

* Doctorant en sociologie clinique et philosophie politique. A paraître prochainement aux éditions Hélice Hélas: Narcissisme-critique.

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