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L’alinéa oublié de l’initiative de «mise en œuvre»

L’initiative de l’UDC «pour le renvoi effectif des étrangers criminels» constitue, de fait, une menace pour tous les assurés.
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Un alinéa de l’initiative de «mise en œuvre» a curieusement échappé à l’attention, à savoir son chiffre V, qui institue la nouvelle infraction d’abus en matière sociale et d’assurances sociales. Cette disposition menace d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus «quiconque aura, par des indications fausses ou incomplètes, par la dissimulation de faits déterminants ou par tout autre moyen, perçu ou tenté de percevoir indûment pour soi ou pour autrui des prestations de l’aide sociale ou d’une assurance sociale».
Contrairement à ce qui a parfois été dit, cette nouvelle infraction vise tout le monde et non uniquement les étrangers. Le texte de l’initiative est clair: il vise ici «quiconque», alors qu’il précise «l’étranger» en ce qui concerne l’expulsion.
Un conseiller national UDC a récemment affirmé qu’il s’agissait simplement de réprimer l’escroquerie à l’assurance sociale. C’est parfaitement faux! La nouvelle infraction va beaucoup plus loin. Elle n’exige ni l’astuce, comme dans le cas de l’escroquerie, ni même la volonté d’induire en erreur ou de conforter une personne dans son erreur, comme le fait le nouvel article 148a du Code pénal voté par le parlement. Le simple fait que les indications données par un assuré ou un bénéficiaire de prestations sociales soient erronées ou incomplètes suffit pour que l’infraction soit réalisée.
La situation de l’ensemble des assurés et des bénéficiaires potentiels de l’aide sociale en sera péjorée. L’infraction est tellement large qu’elle conduira à la criminalisation de personnes qui n’ont rien de tricheurs. Si une personne âgée remplit de manière incomplète un formulaire de demande de prestations complémentaires ou si une mère de famille omet certains détails dans une déclaration d’accident pour son enfant, elles pourront se retrouver devant le juge si la prestation réclamée se révèle en fin de compte indue. La moindre erreur dans la présentation d’une demande de remboursement ou de rente, la moindre omission d’annonce pourra faire des assurés des criminels aux yeux de la loi.
Même interprétée comme ne visant pas la négligence, la nouvelle infraction permettra de punir les intéressés à travers la notion de «dol éventuel»: l’auteur de l’infraction n’a pas voulu le résultat (ici la perception d’une prestation indue), mais l’a accepté au cas où il se produirait. Dès lors, au-delà des condamnations effectivement prononcées, la simple menace de poursuite pénale, si elle est habilement popularisée par les autorités et les assurances, découragera les intéressés de faire valoir leurs droits.
Les partisans de l’initiative répondront que cette infraction pourra faire l’objet d’une application modérée rendant invraisemblables les exemples précités. Il ne faut pas y compter. L’UDC minimise systématiquement la portée de ses initiatives avant le vote populaire, mais en veut toujours une application maximaliste en cas de succès. Si l’initiative de «mise en œuvre» est acceptée, l’UDC exigera évidemment une application impitoyable de la nouvelle infraction, en tout cas envers les étrangers. Par égalité de traitement, les autorités pénales seront obligées de poursuivre avec la même rigueur tous les assurés ou bénéficiaires d’aide sociale qui auront réclamé ou perçu des prestations à tort. Il serait en outre naïf de croire que tous les assureurs et toutes les autorités compétentes renonceront spontanément à utiliser l’arme d’intimidation redoutable que leur offre l’initiative.
L’initiative de «mise en œuvre» n’est donc pas seulement dirigée – de manière discriminatoire et inhumaine – contre des étrangers qui auront commis des infractions mineures, elle menace aussi tous les assurés ou bénéficiaires de prestations sociales qui auront – à tort, mais sans volonté de tromperie – demandé ou perçu des prestations finalement jugées indues.

* Professeur à l’Université de Genève.

Opinions Agora Thierry Tanquerel Agora

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